Ce récit à l’identité seventies se voulait une tranche de vie intime et délicate. Mais à vouloir trop en faire, le réalisateur Emanuele Crialese, reste en surface. Entre portrait de femme poignant, témoignage historique et itinéraire d’une adolescente en questionnement de genre, le film survole des thématiques lourdes sans jamais les aborder en profondeur.
Réalisé par Emanuele Crialese qui n’avait rien signé depuis onze ans, « L’immensità » met en scène le quotidien, peu reposant, de Clara (Penelope Cruz), une femme écrasée par le poids de la société italienne machiste des années 1970. Alors que son mari se désintéresse d’elle et de la vie familiale, Clara femme bafouée, trouve refuge dans la relation fusionnelle qu’elle entretient avec ses trois enfants. Le fragile équilibre familial est alors bousculé lorsque l’aînée, Adriana remet en question son identité de genre en affirmant « être née dans un corps qui ne lui correspond pas. » Contre les jugements moralistes et le poids de la religion de l’époque, Clara va tenter tout au long du film d’insuffler un vent de fantaisie et de liberté à ses enfants et son entourage.
UN FILM À L’INTIMITÉ SUPERFICIELLE
Dans la Rome des années 1970, à la lisière d’un terrain vague, un appartement chic aux tons orangés renferme une famille en crise. Les disputes entre Clara et son mari sont bruyantes, les portes claquent, les larmes coulent et les enfants tentent d’oublier les adultes en s’enfermant dans leur chambre.
Derrière l’autopsie d’un couple qui se déchire, l’aînée Adrianna (Luana Giuliani) se présente aux autres enfants du quartier comme un garçon : Andrea. Peu à peu, elle s’entiche d’une jeune fille qui vit de l’autre côté de la forêt de bambous séparant les quartiers aisés des quartiers pauvres. Teinté de transgression, son parcours affectif et sexuel ne tombe jamais dans la vulgarité. Il rend très bien compte de la complexité des ressentis adolescents et des errements identitaires qui en découlent. Luana Giuliani incarne merveilleusement le désenchantement diffus propre à son âge et à sa situation. Malheureusement le film ne se limite pas à ce seul enjeu identitaire et sombre peu à peu dans l’ébauche d’un thème qui aurait mérité plus d’investissement.
“DANS LE RÔLE D’UNE ADO TRANS, LUANA GIULIANI INCARNE LA DÉSILLUSION PROPRE À SON ÂGE ET SA SITUATION.”
Au Festival de Venise en septembre dernier – durant lequel « L’immensita » était en compétition, Emmanuel Crialese a confié qu’il était lui-même né fille. Comme un clin d’œil à sa propre enfance, le film est truffé de références seventies, lui donnant un certain cachet grâce à une photographie vintage. Les scènes musicales s’enchaînent, la première séquence du film où l’on assiste à une chorégraphie endiablée entre Clara et ses enfants est censée exprimer un rapport au monde fantasque. Or,nous assistons plutôt à une scène laborieuse et ennuyeuse…
L’effet miroir entre Adrianna et sa mère, toutes deux écrasées par le poids du patriarcat, est par ailleurs assez grossier. Les deux femmes ne se rebellent pas vraiment contre l’ordre établi et échouent à concrétiser leur désir d’affranchissement. Finalement, le film souffre un peu de cette comparaison tant les nuances entre les deux parcours sont peu exploités.
FEMME LIBÉRÉE OU MODÈLE PUBLICITAIRE ?
Penelope Cruz est magnétique. Elle irradie l’écran par sa beauté, son aptitude à jouer, chanter et danser. Malgré cette démonstration incontestable de ses talents de comédienne, nous restons dans une approche presque publicitaire de l’actrice. Tous les personnages, excepté ses enfants, ne la considèrent que pour sa beauté et la caméra du réalisateur fixe sans cesse son attention sur elle tout en se maintenant à distance de la psychologie de l’actrice… Elle est appréhendée comme un produit de consommation, un faire-valoir ; et la caméra préfère d’abord s’attarder sur ses lèvres et sur ses yeux maquillés plutôt que de la filmer en entier. Comme un objet très convoité, tout le monde la regarde mais personne ne la comprend.
“Penelope Cruz est magnétique. Elle irradie l’écran par sa beauté, mais nous restons dans une approche presque publicitaire de l’actrice.”
Dans « Respiro » qui a fait connaître le réalisateur, Valeria Golino incarnait déjà le rôle d’une mère éprise de liberté. Sa personnalité fantasque dénotait avec les conventions étriquées des pêcheurs de l’île sicilienne. Tandis que dans « Respiro », la femme fuit et disparait poétiquement, « L’immensita » met en scène une mère qui reste malgré les infidélités de son mari et l’harmonie rompue.
La pesanteur du quotidien qui n’évolue pas tout au long du film rend le récit stagnant, et le développement du personnage de Clara inexistant. Le film évoque à bas mots, la violence conjugale, et les maltraitances psychologiques mais se détourne maladroitement de ces thèmes après les avoir à peine effleurés.
Bien que l’on soit charmé par l’ensemble du récit, les personnages sont assez caricaturaux : le macho italien, la femme dévouée, le garçon manqué… Emmanuel Crialese nous présente une succession éparpillée de souvenirs, certes intimes, mais bien trop déconnectés les uns des autres pour réussir à créer une tension narrative digne de ce nom avec un centre de gravité délimité.
La Perle
“L’immensità”
un film de Emanuele Crialese
Date de sortie : 11 janvier 2023
Durée :1 heures et 37 minutes