Une voix s’élève. Insurgée. Celle de Diane Prost, comédienne, féministe, femme avant tout. Une voix pour donner la parole à toutes celles qui ont fait l’Histoire, pionnières et anonymes, militantes et opprimées, femmes resplendissantes, quoi qu’il en soit. Au théâtre Funambule Montmartre, la comédienne rembobine le temps sur un rythme effréné et nous livre dans un seul en scène, « La folle et inconvenante histoire des femmes ». Un exposé nécessaire écrit par Laura Léoni, mis en scène par Laetitia Gonzalbe… qui aurait toutefois mérité d’être traité avec moins de linéarité et une présentation plus nuancée.
L’ IDENTITÉ SEXUELLE FACE À L’HISTOIRE
Le plateau, dépouillé, s’offre. Comme tableau d’ouverture, une phrase, projetée sur une toile de fond blanche et qui pourrait bien faire office d’adage intemporel : « ce n’est pas parce qu’on ne parle pas des choses qu’elles n’existent pas ». Or, Sacha, la jeune femme que Diane Prost incarne, parle dès les premières minutes, sans ambages. Ses mots se font confession : elle est homosexuelle. Le récit pourrait s’arrêter là sans qu’au XXIème siècle, cet aveu ne soulève une quelconque réflexion polémique. Un regard rapide sur nos sociétés actuelles et passées témoigne du contraire. 2023 sera le point final de la fresque historique que Sacha s’apprête à dérouler et sa lesbianité en sera le fondement.
Pourquoi la sexualité des femmes a-t-elle toujours autant questionné ? Depuis quand a-t-elle été le terreau des multiples formes d’oppressions et d’inégalités dont ces dernières ont été sujettes ? Sacha questionne, et à juste titre. Mais elle ne dialoguera pas seule. Sa grand-mère, à qui elle aurait aimé se confier, sera sa confidente, à la lumière de la tendre relation qui semblait les envelopper, avant son décès. Armée d’un livre d’histoire que cette dernière lui a légué, s’engage une discussion d’outre-tombe vibrante et pugnace.
“Diane Prost change tour à tour d’apparence et convoque des figures féminines ayant ou non existé.”
Crédit photo : théâtre le Funambule Montmartre.
FEMMES OPPRIMÉES, FEMMES ENGAGÉES
Corps h3 ou h4 : Depuis quand, donc les femmes sont-elles opprimées ? Depuis toujours ! Sans surprise, pas de place pour la liberté et les droits des femmes, de Néandertal aux sans culottes et bien après. L’homme dirige, impose, bâillonne, sous l’égide d’une société patriarcale et des lois qui l’entretiennent. En témoigne cette phrase, prêtée au philosophe Jean-Jacques Rousseau, à qui la pièce tourne le dos : « La femme observe et l’homme raisonne ». Voilà de quoi faire enrager toutes celles qui se sont levées contre des siècles d’injustices indélébiles. Et des femmes libres et libérées, l’histoire en compte !
Coiffée d’un bandeau et parée d’un long déshabillé, Diane Prost change tour à tour d’apparence et convoque différentes figures féminines ayant ou non existé. Olympe de Gouges – guillotinée pour avoir publié sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791 -; Chlamydia – altière prostituée fictive de l’Antiquité – ; Georges Sand – femme de lettres à l’engagement politique passionné – : toutes s’animent sous son jeu et brandissent ainsi avec panache leurs combats pluriels dont notre société porte le legs. On redécouvre également la poétesse Sappho, l’artiste Joséphine Baker ou encore l’écrivaine Colette, dont les identités font écho à celle de Sacha : toutes étaient, en effet, homosexuelles, toutes ont été contestataires.
Le personnage de Sacha rappelle ainsi la puissance de leurs voix, et n’hésite pas à faire résonner la sienne en analogie. Son activisme transparait jusqu’au point d’orgue de la pièce qui se clôture sur l’hymne du Mouvement de Libération de la Femme (MLF) de 1971 : « Debout les Femmes ». Un plaidoyer pour une sororité indissoluble et une poursuite des luttes malgré ce qui a été acquis.
Crédit photos : théâtre le Funambule Montmartre.
LA PÉDAGOGIE AU DÉTRIMENT DE LA POÉSIE
Vaste sujet,donc, que celui de la condition féminine. Complexe à aborder tant il soulève des réflexions multiples, tout autant sociologiques que politiques, historiques ou philosophiques. Un sujet qui se prête à un théâtre engagé, interpellant, nuancé, réfléchi. Il est ainsi dommage que le texte de l’autrice Laura Léoni, bien qu’historiquement fourni, surfe sur une présentation très factuelle à travers une galerie de personnages dont les noms s’égrènent au fil des époques choisies. Un exposé dont on ne peut remettre en cause la nécessité, mais dont la linéarité nous éloigne des enjeux de fond qui y sont indéniablement associés.
Une approche qui ne laisse également que peu de place à l’émotion tant le rythme, hâtif, survole brièvement chaque figure incarnée. Un tempo que l’on retrouve d’ailleurs dans le débit de paroles de Diane Prost que l’on peine parfois à comprendre. On aurait ainsi apprécié que la pédagogie de l’autrice se combine à plus de poésie. La discussion utopique qu’entretient Sacha avec son aïeule décédée aurait pourtant pu offrir au spectateur certaines césures attendrissantes.
Enfin, si grâce à l’exactitude des faits qui nous sont racontés, cette pièce ne tombe pas dans l’écueil d’une vision manichéenne, on regrette toutefois l’absence de figures masculines ayant œuvré aux côtés des femmes présentées.