Belfast : Kenneth Branagh filme ses mémoires

Alors qu’il est sorti, depuis plusieurs mois, aux Etats -Unis - et déjà nommé aux Oscars 2022 - Belfast est enfin à l’affiche des salles françaises. Kenneth Branagh - qui vient tout juste de sortir le blockbuster, Mort sur le Nil - revient vers un cinéma sans fioriture ni effets spéciaux, pour filmer ses mémoires. Une famille, une ville, une rue et l’été 1969.

Irlande, 1969 : Des émeutes très violentes opposent la majorité protestante qui veut chasser la minorité catholique. Au milieu de cette poudrière, Buddy, 9 ans, vit sa vie de petit garçon.

Aout 1969 : Belfast est en ébullition, et cela n’a rien à voir avec la chaleur. Des émeutes très violentes opposent la majorité protestante qui veut chasser la minorité catholique. Au milieu de cette poudrière, Buddy, 9 ans, vit sa vie de petit garçon. En plus de se préoccuper de ses devoirs de maths, de la fille qu’il aime, ou de où il peut jouer au foot, il doit faire face à une crise familiale. Ses parents n’arrivent pas à joindre les deux bouts, bien que son père passe ses semaines en Angleterre pour y travailler. Entre la violence, l’inquiétude et l’insouciance, Buddy se construit, tant bien que mal, alors qu’il va devoir affronter un choix difficile

DANS LES YEUX D’UN PETIT GARÇON 

Kenneth Branagh le dit lui même : Belfast est le film le plus personnel et le plus intime qu’il ait réalisé. Alors qu’il essaye de retranscrire cette histoire depuis des années – sans savoir comment l’aborder – c’est lors du premier confinement qu’il a trouvé la solution. Ainsi comme beaucoup de réalisateurs, il lui a fallu du temps et de l’expérience pour enfin partager son « auto-fiction ». Dans ce genre très spécifique, on a pu découvrir le Douleur et Gloire d’Almodovar (2019) ou le Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson (2022). Voici maintenant le Belfast de Kenneth Branagh. 

Pendant plus d’une heure et demi, Branagh adopte surtout le point de vue de Buddy. On vit le film à travers ses yeux rieurs. Quand Buddy rit, on tombe sous le charme de ses dents écartées et son sourire malicieux ; quand il pleure, on aimerait pouvoir le consoler. On se surprend à s’inquiéter pour lui lorsqu’il est mêlé, contre son gré, aux violents affrontements qui ont lieu dans sa rue. Le film est à l’image de ses sentiments : aussi joyeux qu’émouvant. Cette capacité à transmettre toutes ses émotions est facilitée par le jeu du jeune Jude Hill qui incarne Buddy et qui, justement, ne joue pas. Il interagit avec ses partenaires, sa personnalité se fondant entièrement dans celle du protagoniste. Il campe un alter égo parfait de Kenneth Branagh et nous fait retomber en enfance instantanément. On comprend pourquoi le jeune acteur a été retenu au casting, parmi 300 enfants

Le contexte décrit dans le film, celui d’une zone de guerre et de discrimination entre religions, est atténuée par un humour insouciant et permanent. Dans la scène du où Buddy se voit contraint de piller un supermarché, il choisit de prendre une boite d’un kilo de lessive. Il se retrouve donc au milieu d’une émeute effrayante, et d’une prise d’otage de 4 minutes, sans jamais lâcher son paquet. 

S’il ouvre le film avec des plans en couleur du Belfast actuel, Branagh a fait le choix du noir et blanc pour raconter son enfance. A ceux que le noir et blanc effraie, à ceux qui se disent « ah non comme dans les vieux films ! », je dis – « grandissez ! » mais surtout – « pas d’inquiétude » ! Car, non seulement ce noir et blanc – qu’on appelle « hollywoodien » – sublime les visages, mais traduit aussi le souvenir parfois imprécis qu’on peut avoir de son enfance. C’est donc à travers les rires et les pleurs de Buddy qu’on prend plaisir à être invité dans les mémoires fidèles et authentiques d’un Ken Branagh plus intime que jamais. 

“CE NOIR ET BLANC SUBLIME LES VISAGES, ET TRADUIT LE SOUVENIR, PARFOIS IMPRÉCIS, QU’ON PEUT AVOIR DE SON ENFANCE.“

SUR CE QUE TU CONNAIS TU ÉCRIRAS

En voulant être le plus fidèle possible à ses souvenirs, Branagh a tenu à faire un film dans lequel on ressent l’Irlande. Dans le casting, tout d’abord : les acteurs sont tous, de près ou de loin, Irlandais. Ciaran Hinds, qui joue le grand-père et a grandi à deux pas de la maison d’enfance du réalisateur. Les parents, joués par Caitriona Balfe (que je ne connaissais pas mais dont je suis tombé sous le charme ) et Jamie Dornan (50 nuances de Grey ! ) sont également Irlandais. Même l’immense Judi Dench, qui prête ses traits à la grand-mère, a du sang Irlandais du coté de sa mère. A vrai dire, même si elle n’en avait pas, Branagh l’aurait sûrement choisie… après huit collaborations au cinéma, on peut bien faire une exception. 

L’avantage d’un casting entièrement Irlandais : pas besoin de jouer l’accent. Un détail non négligeable car, se pose dans le film, la question de l’identité et de la discrimination. Alors que ses parents envisagent d’aller vivre en Angleterre pour un meilleur salaire et un meilleur cadre de vie, Buddy et sa famille ont peur d’être rejetés et railler à cause de leur accent. 

L’authenticité – que je n’arrête pas de rabâcher chers amis – est aussi due aux décors et à la musique. Aux décors qui ont été intégralement construit en studio, en Angleterre, pour plus de facilité, et à la musique dont 11 titres de la bande originale sont signés par Van Morrison, originaire de… Devinez ? 

Comme Paul Thomas Anderson, dans l’excellent Licorice Pizza, Branagh met tellement de coeur à l’ouvrage, qu’outre les images qui défilent, on a aussi l’impression de ressentir les textures, les odeurs, les sons et de se glisser dans la peau du héros. Après tout, le conseil de tout scénariste : il faut écrire sur ce que l’on connait. Eh bien ! Le pari est réussi : on s’identifie complètement au petit Buddy, on sent le confort, la chaleur humaine et la sécurité qui se dégage de ce petit quartier du Nord de Belfast. 

Dans une interview pour l’émission américaine, The Late Show, Kenneth Branagh raconte ses mémoires. Il explique : « vous étiez parent avec la moitié des gens et vous connaissiez l’autre moitié de l’école ». Parmi ses madeleines de Proust on retrouve justement les centres d’intérêt qui occupaient l’esprit du jeune Kenneth et qui sont aussi ceux de Buddy : le cinéma, le football et Catherine (une camarade de classe… oui c’est extrêmement mignon). Comme la plupart des britanniques de l’époque (et même d’aujourd’hui) le football est une passion évidente, mais le cinéma est plus personnel à Branagh. Ainsi, on s’amuse de voir comment les événements vécus par Buddy font écho aux films qu’il dévore à la télé et au cinéma. On aperçoit, grâce à lui, des westerns Américains, avec les grands Gary Cooper, James Stewart, John Wayne…

Enfin le petit bonus, l’Easter Egg – en langage de gamer – qui fera sourire les plus observateurs : la bande dessinée que lit Buddy est un numéro de Thor, le dieu scandinave de Marvel. C’est un clin d’oeil malin que fait Branagh à… lui même : En 2011 c’est bien lui qui a réalisé le premier volet de la saga Thor. Sûrement le rêve d’un gamin, fan de comics et de cinéma, qui a enfin pu marier deux de ses passions… à l’âge de 50 ans.

En appliquant le Premier Commandement du scénariste, Kenneth Branagh nous fait donc le cadeau de son enfance : entre tendresse, douleur et humour, on trouve un petit garçon pris entre ses problèmes d’enfant et une guerre qu’il ne comprend pas. Il nous reste à souhaiter à ce petit diamant : « bonne chance pour les Oscars ! ».

Parmi les madeleines de Proust du réalisateur, on retrouve justement les centres d’intérêt qui occupaient l’esprit du jeune Kenneth Branagh, et qui sont aussi ceux de Buddy : le cinéma, le football, et Catherine, sa petite camarade de classe.

La Perle

Belfast
Un film de Kenneth Branagh
Date de sortie : 2 mars 2022
Durée :
1 heures et 39 minutes
Avec : Jude Hill, Jamie Dornan, Caitriona Balfe, Ciarán Hinds