Au début, il y a un gros éléphant dans un désert. Dire qu’un éléphant est gros pourrait résonner comme un pléonasme maladroit. C’est pourtant le message du film « Babylon » de Damien Chazelle : l’éléphant est gros. Pourquoi ? Parce qu’il doit entrer dans une camionnette prévue pour contenir des chevaux. Vous saisissez la subtilité du propos ? Si ce n’est pas le cas, rassurez-vous. D’ici quelques minutes, l’éléphant défèquera sur un personnage dont on ignore le nom afin d’enfoncer l’idée qu’on ne va pas faire dans la dentelle. Ensuite vient le classique : golden-shower, cocaïne, orgie, cocaïne, coma, cocaïne, flingues, cocaïne, danses hypnotiques, cocaïne, cocaïne, cocaïne, et au fait, il faut vraiment que vous sachiez que de dans ce film, il va y avoir de la cocaïne. Derrière le cannabis, elle est la drogue récréative la plus consommée aux Etats-Unis. Vivement encouragée aux premières heures du cinéma, dans le milieu Hollywoodien. Il faut attendre 1922 pour que la drogue soit officiellement bannie du territoire. Le film de Damien Chazelle commence quatre ans plus tard, à Los Angeles, avec, souvenez-vous, un gros éléphant dans un désert.
MARGOT ROBBIE : MUSE D’HOLLYWOOD
Manny Torres, un jeune mexicain-américain incarné par Diego Calva doit amener cet éléphant à la fête de Jack Conrad, une star du cinéma muet incarné par Brad Pitt. Là-bas il y rencontre la belle Nellie LaRoy jouée par Margot Robbie, une blonde fêtarde qui ne danse comme personne, multipliant les contorsions dans sa robe rouge au rythme d’une séquence d’introduction effrénée. Tous les trois font la fête jusqu’à l’aube. Leur destin se croisent cette soirée-là qui marque le point de départ de leur ambition commune : être sur un plateau de cinéma. Le titre « Babylon» arrive enfin sur nos écrans. Il est rouge, comme la robe de Nellie, et surtout il s’est fait attendre pendant 40 minutes.
Et tout comme lui, cette critique vous aura fait patienter pendant deux paragraphes avant de vous raconter le véritable propos du film : la naissance d’Hollywood et sa transition du cinéma muet vers le cinéma parlant entre les années 1920 et les années 1930. Un changement qui marque la naissance et surtout la chute de nombreuses stars hollywoodiennes de l’époque. Un film qui n’est pas sans rappeler « The Artist » de 2011 avec plus de couleur ou encore « Once upon a time in Hollywood » de 2019 avec plus de Margot Robbie – car dans Babylon, au moins, elle a des scènes de dialogues. Margot Robbie d’ailleurs, crève l’écran, montrant dès le début du film qu’une actrice doit savoir pleurer sur commande. Rien que pour sa performance, le déplacement vaut le coût.
“CHAQUE SCÈNE EST PICTURALE. C’EST COMME REGARDER UN TABLEAU DANS LEQUEL LES PROTAGONISTES SONT POSSÉDÉS.”
Babylon de Damien Chazelle. Photo : Margot Robbie.
TROIS HEURES ET UNE DE TROP
Cependant, une actrice seule ne peut sauver un film. Voyons ce que « Babylon » a d’autres à offrir : un Brad Pitt alcoolique et vieillissant, un Tobey Maguire vampirique absolument terrifiant, et un combat avec un serpent. Le film se construit sur une alternance entre des séquences de tournage censées montrer l’ascension des personnages, et des scènes de fêtes totalement déjantées. Avec Damien Chazelle, la couleur est à l’honneur. La composition de chaque scène est picturale. C’est comme regarder un tableau dans lequel les protagonistes sont possédés. Conséquence de quoi, le film parvient à vous faire serrer les fesses pendant ses deux premières heures.
Seulement voilà, « Babylon » dure trois heures. Et le problème avec les fous, c’est qu’ils ne sont pas toujours attachants. Même Manny Torres, le seul personnage à peu près sain d’esprit, est noyé par une vague de sous-intrigues En une seule scène, Babylon essaye, par exemple, de traiter de la question de la représentation des personnes de couleur à Hollywood. Et avec un personnage secondaire en plus. Résultat, on traite ça vite fait, sans dilemme ni enjeu, et on passe à autre chose. La dernière heure tente vainement de trouver une destination à tout ce beau monde avant de se rappeler que son personnage de départ était Manny Torres. On revient donc à lui dans une séquence d’hommage au cinéma qui est aussi subtile que l’éléphant du début. Le sentiment qui prédomine dans les dix dernières minutes du film est celui de la prise d’otage : laissez-nous sortir !
Est-ce que « Babylon » est un film ambitieux, beau et bien joué ? Oui. Est-ce qu’il en fait trop ? Aussi. Est-ce qu’il rejoint la liste de ces films sur Hollywood tellement désireux de marquer Hollywood qu’ils finissent par se perdre dans leur auto-contemplation ? Malheureusement. Au-delà des images et des performances, « Babylon » est un film qui tente de capturer la fureur des jeunes années d’Hollywood avant de nous la recracher au visage. Encore heureux que ça ne nous laisse pas indifférent.