Vous-êtes vous jamais demandé pourquoi le mot amour, issu du latin « amor », s’accorde au masculin singulier et au féminin pluriel ? Chronique d’une liaison passagère, en salle ce mercredi 14 septembre, vous répond. À travers son onzième long-métrage, Emmanuel Mouret signe et porte une nouvelle fois à l’écran son thème fétiche : l’amour. Cette comédie romantique qui réunit Sandrine Kiberlain (Charlotte) et Vincent Macaigne (Simon) égrène, au fil des mois, l’aventure d’un homme marié angoissé avec une mère célibataire libérée de tout engagement.
LES CONTRAIRES S’ATTIRENT
Lui est un éternel angoissé, marié depuis 17 ans à une femme qu’il aime et trompe pour la première fois. « Tu l’aimes, donc ça veut dire que tu ne la trompes pas », ne cesse d’ailleurs de lui répéter sa maîtresse avec sérieux. Elle est célibataire, séparée du père de ses enfants et décidée à profiter pleinement de son indépendance sans se soucier des complications d’une vie à deux. Dès les premières minutes, le ton est donné : par son attitude gauche et ses manières empruntées, Simon donne à Charlotte, directe et sûre d’elle, les clés de leur relation. Celle -ci évolue pourtant au fil des mois, à travers les rencontres et discussions des deux amants. Forte d’une pudeur caractéristique de l’œuvre d’Emmanuel Mouret, Chronique d’une liaison passagère se refuse à la moindre scène d’ébats entre ses protagonistes. Absente mais largement suggérée, la nudité des corps est supplantée par la puissance des dialogues. C’est là que réside la véritable force du film. En partageant leurs points de vue respectifs sur l’amour et la vie, Charlotte et Simon construisent peu à peu une relation unique qui dépasse largement le cadre de la couette et de l’oreiller, et dans laquelle chacun d’eux se révèle.
Discrète sur son passé amoureux, Charlotte préfère de toute évidence les histoires sans lendemain. Avec Simon, elle consent pourtant à réitérer l’expérience, se surprenant elle-même à apprécier ce nouveau rôle de maîtresse… ou d’amoureuse. Mais des deux tourtereaux, c’est Simon qui semble le plus transformé par cette relation. Grâce à Charlotte, ce sage-femme tourné vers les autres, s’autorise enfin à penser à son propre bonheur. La spontanéité et la franchise de son amante déteint sur ce grand bavard, à la timidité loquace. Lui-même se découvre sous un nouveau jour.
“MAIS AUX CONVERSATIONS D’ADULTES, MOURET CHOISIT D’ASSOCIER UNE MISE EN SCÈNE AU TON PRESQUE ENFANTIN.”
PARLEZ-MOI D’AMOUR
Bien loin du ressort dramatique estampillé « cinéma français», Emmanuel Mouret ne tombe pas dans le piège et parvient à surprendre le spectateur : si l’identité de la femme de Simon demeure anonyme jusqu’au terme de l’intrigue, le rebondissement, dont on peut regretter qu’il n’intervienne qu’à 30 minutes de la fin, provient de l’apparition de Louise, campée par Georgia Scalliet. En réalisant le fantasme de Simon, cette épouse style Sainte-Nitouche vient percuter, à l’issue d’un ménage à trois maladroit, la trajectoire sans embûches des amants.
« Ce film est un cadeau pour les acteurs » : de l’aveu de Sandrine Kiberlain lors d’une avant-première du film, le 5 septembre dernier, à la Cinémathèque de Paris, on voit poindre l’implication de l’actrice dans un tandem particulièrement savoureux avec Vincent Macaigne. Elle, dont la silhouette élancée vient redresser la posture voutée du personnage de Simon. Ainsi, les discussions des deux acteurs, qu’elles évoquent des sujets triviaux ou bien leur propre relation, sont toujours convaincantes. Bien souvent, les échanges entre Charlotte et Simon les conduisent à porter un regard nouveau sur des éléments bien connus de leur quotidien : la ville, la nature, l’art, et bien sûr, l’amour. Mais au sérieux de ces conversations, Mouret choisit d’associer une mise en scène au ton presque enfantin. Nimbés dans une lumière très claire, entre plans fixes et plans séquences : une partie de figurines dinosaures, courir comme des fous dans la rue, s’embrasser timidement sous le regard amusé d’autres enfants… Comme si la rencontre de ces deux âmes contraires leur permettait, enfin, de s’abandonner à la redécouverte des premières fois.
CINÉPHILMES D’AMOUR
« Si l’on fait des films, c’est parce qu’on a aimé d’autres films auparavant », déclarait Emmanuel Mouret lors de l’avant-première de son film à la Cinémathèque de Paris. Et pour cause : à bien des égards, Chronique d’une liaison passagère se veut le recueil cinéphile de références à la comédie romantique. Rien de plus tendre que de se retrouver discrètement au musée. Mais du Petit Palais au Musée d’art moderne, le Paris de Charlotte et Simon n’est autre que le New York d’Annie et Alvy dans le Annie Hall de Woody Allen ( 1977 ). Des villes surprenantes où se rencontrent, au hasard, des quinquagénaires mélancoliques et cultivés.
À une ou deux génération près, Chronique d’une liaison passagère n’est pas sans rappeler la rencontre de François Civil et Ana Girardot dans Deux Moi de Cédric Klapisch – une comédie romantique qui suit le parcours parallèle de deux trentenaires tourmentés jusqu’à leur rencontre : des péripéties amoureuses légèrement caricaturales d’une population parisienne aisée, tendance « bobo »… au risque pour le film de se priver d’un public plus large et plus populaire. Reste à savoir si l’humour des dialogues et la qualité du jeu des acteurs parviennent à élargir l’audience de cette Chronique d’une liaison passagère pour l’imprimer, à terme, dans le cœur des spectateurs.