La Clef : le dernier cinéma indé et associatif de Paris lutte contre sa fermeture

Sous le coup d’une expulsion imminente, les bénévoles de la “Clef Revival” font vivre le lieu à l’occasion d’une semaine de la dernière chance. Reportage dans cette enclave autogérée du Ve arrondissement de Paris.

Crédit photo : Antoine Bouchet.

Derrière son comptoir, Thomas s’affaire pour accueillir les spectateurs. Depuis un an et demi, ce jeune réalisateur est impliqué dans la vie de la Clef, dernier cinéma indépendant associatif de la capitale. Depuis le 20 septembre 2019, un collectif de passionnés occupe illégalement le lieu. Comme Thomas, tous sont désireux de rendre au lieu sa destination première, en réhabilitant ce cinéma indépendant. Ils fondent alors l’association Home Cinema et nomment leur projet La Clef Revival. Mais leur expulsion est imminente, la préfecture leur ayant ordonné de quitter les lieux, au plus tard, ce lundi. 

“CRÉATION, ÉDUCATION, DIFFUSION”

La Clef ouvre ses portes pour la première fois en 1973. Racheté en 1981 par la Caisse d’Epargne d’Ile-de-France, le bâtiment est revendu, 40 ans plus tard, au groupe SOS. Proche du gouvernement à travers son président Jean-Marc Borello, délégué général adjoint de La République En Marche (LREM) (et surnommé le « Bill Gates du social »), la plus grande entreprise sociale européenne s’est faite une spécialité de secourir des associations en difficulté. Mais le compromis signé en novembre 2020 avec la Caisse d’Epargne n’est pas du tout du goût des bénévoles. Ils réclament le prolongement d’une gouvernance collective et participative du lieu, sur la base de leur expérience actuelle. Pour financer leur projet, ils ont mis en place un fond de dotation, Cinéma Revival, qui récolte déjà plus de 100 000 euros.

Dans la grande salle commune du cinéma, au milieu des canapés et des affiches de film, entre la machine à café et la bibliothèque, un jeune homme s’affaire pour programmer la séance de 14h. Les Enfants d’Isadora doivent être projetés en présence du réalisateur Damien Manivel et du premier rôle Agathe Bonitzer, venus soutenir La Clef en cette période cruciale. Saoirse est bénévole à La Clef depuis plus d’un an. Pour lui, cette proposition de rachat n’est que la « vitrine associative » d’un groupe « qui ingère des assos pour faire de la spéculation immobilière »

Le jeune homme est rentré à la Clef début 2021 pour monter une radio pirate. A La Clef, toutes les initiatives sont écoutées et discutées entre la quarantaine de membres actifs. Au fil des mois, Saoirse a appris à se servir des projecteurs, « sur le tas, comme beaucoup de gens ici ». Aujourd’hui, il réfère la technique du lieu et loue « la programmation collective » qui permet à La Clef de montrer des films introuvables en salles. « On chine, on fouille, puis quand on souhaite projeter une œuvre, on négocie avec les ayant droits. Rien n’est jamais diffusé sans leur accord » explique-t-il.

« Création, éducation, diffusion ». Voilà les trois missions principales de La Clef. Thomas, le jeune réalisateur mobilisé au comptoir, est au cœur de la première. Pour cause, il fait partie des cinq résidents permanents à l’atelier d’écriture de La Clef. «On fait découvrir du cinéma jamais diffusé en salle, des films pirates des années 70 aux courts-métrages contemporains », explique Thomas. Le prix de la séance est libre.Le jeune homme peut également produire et diffuser son propre travail grâce au studio 34 ; un lieu imaginé par la Clef pour « toutes celles et ceux qui souhaitent fabriquer des films et qui permet la fabrication, la rencontre et la transmission entre professionnels confirmés, spectateurs cinéphiles, étudiants, et cinéastes en devenir. » Vaste programme. Chargé de l’accueil des visiteurs, Thomas remarque « une augmentation du nombre de bénévoles en ce moment ». 

ON FAIT DÉCOUVRIR DU CINÉMA JAMAIS DIFFUSÉ EN SALLE, DES FILMS PIRATES DES ANNÉES 70 AUX COURTS-MÉTRAGES CONTEMPORAINS.”

Thomas, occupant du cinéma La Clef Revival. Crédit photo : Antoine Bouchet.

UN FESTIVAL POUR EMPÊCHER L’EXPULSION

Et pour cause : en cette semaine exceptionnelle, le collectif La Clef Revival a organisé un véritable festival en un rien de temps. 48h après avoir été informé de la nécessité de quitter les lieux d’ici au 31 janvier, les amateurs du 7e art ont mis sur pied une manifestation hors-norme.

Alors qu’ils organisent habituellement une seule séance par soir, les bénévoles diffusent pas moins de 40 films cette semaine ! Thibault, occupant de la première heure, confie être venu dès qu’il a appris la menace d’expulsion. «Je suis rentré exprès dimanche de Belgique où j’étais en tournage. Cet ingénieur son à Radio France International se félicite de la « solidarité active » au service du lieu. Pour lui, La Clef répond à un besoin que peu de salles parisiennes ou nationales satisfont : « C’est très difficile pour les jeunes réalisateurs de montrer leurs films. Ici, c’est un espace de partage. Il n’y a pas d’injonction à la rentabilité ». Il regrette les choix opérés par les distributeurs à l’heure du Covid-19, meurtrier pour le cinéma. « Beaucoup de salles ont fermé. Et pour ramener le public, les distributeurs ont beaucoup misé sur les blockbusters américains ». A l’inverse La Clef soutient les films dits « fragiles », au format pas assez commercial car trop court par exemple. Création, éducation, diffusion. La deuxième visée de la Clef se traduit aussi par une collaboration avec neuf centres aérés du quartiers, qui viennent ici au cinéma chaque mercredi pour de « l’éducation à l’image ».

Pour que la Clef continue d’exister, plusieurs personnalités sont venues apporter leur soutien. Jean-Luc Godard y est intervenu pour une carte blanche ; Agnès Jaoui et Jacques Audiard ont signé une tribune de la Société des Réalisateurs de Film contre la privatisation du lieu. Tous souhaitent offrir une alternative au cinéma mainstream. D’autres curieux, plus anonymes, comme Léa et Nadia, sont venues « les mains dans les poches », sans même savoir ce qu’elles allaient voir. Elles sont de ces quelques 400 spectateurs quotidiens qui se sont pressés, cette semaine, dans les deux salles obscures du cinéma. Et vous, serez-vous de la partie ? 

La Perle
Pour en savoir plus : laclefrevival.com
Instagram : @laclefrevival