Procès Pavlenski-De Taddeo : l’art contemporain réduit au sensationnalisme

Trois ans après la diffusion de vidéos à caractère sexuel de Benjamin Griveaux, ex-porte parole du gouvernement, l’artiste russe Piotr Pavlenski et sa compagne Alexandra de Taddeo sont jugés au tribunal correctionnel de Paris pour « atteinte à l’intimité de la vie privée ». Un acte qu’ils défendent au nom de « la liberté artistique ». Sous leur impulsion le procès tourne, lui aussi, à l’extravagante mise en scène.

Le couple Pavlenski – De Taddeo est arrivé ce matin avec une heure de retard. Crédit photo : Perla Msika

Tous les comportements de Piotr Pavlenski et d’Alexandra de Taddeo en témoignent. Ce procès, c’est l’occasion d’un nouvelle performance artistique. Robe longue à strass, promotion littéraire, applaudissements et déclamations théâtrales, l’artiste russe et sa compagne s’attachent à rendre leur audience lunaire. Arrivé avec une heure de retard, le couple s’est rendu, ce mercredi 28 juin, au procès qui les oppose à Benjamin Griveaux. 

LE DROIT À LA « liberté artistique »

Tous deux sont accusés d’avoir diffusé, en 2020, des vidéos à caractère sexuel de l’ex-porte-parole du gouvernement sur le site baptisé « Pornopolitique », plateforme créée par l’artiste spécialement pour récolter et publier des vidéos pornographiques de hauts fonctionnaires de l’État. Une démarche artistique selon lui. Benjamin Griveaux, qu’on voit se masturber, en a été la première victime. Piotr Pavlenski souhaitait dénoncer « l’hypocrisie dégoûtante » d’un homme qui « fait la propagande des valeurs familiales traditionnelles ».

Droit à la liberté de la vie privée d’un côté, défense de la liberté d’expression de l’autre. Dans ce procès fort de symbole, chaque parti incarne une valeur fondamentale de la République. En jeu, le droit de Piotr Pavlenski de diffuser, en sa qualité d’artiste, des vidéos pouvant « porter atteinte à l’intimité de la vie privée ». Alexandra de Taddeo, qui a entretenu une brève relation avec Benjamin Griveaux en 2018 , est surtout visée pour avoir enregistré, copié et transmis à son compagnon, les vidéos que l’ex-élu lui a envoyées dans un cadre privé.  

« C’est un débat qui concerne l’art, de manière général » défend Maître Yassine Bouzrou, avocat de Piotr Pavlenski. Il défend « la liberté artistique » de son client. Un prétexte « pathétique » pour Maître Richard Malka, l’un des conseils de Benjamin Griveaux. Avec sa collaboratrice, Marine Viégas, également avocat du partie civile, le propos de l’activiste russe relève surtout d’un sensationnalisme narcissique plutôt que d’une démarche artistique. 

« ICI, C’EST UN PROCÈS, PAS UN SPECTACLE »

Dans ce procès, plusieurs éléments prêtent au show – et aux sourires de l’assemblée. À commencer par l’attitude des prévenus. À peine installé et appelé à la barre, Piotr Pavlenski déblatère dans un mauvais français son manifeste « Art / Sujet / Objet » qui justifie, selon lui, son acte conceptuel. La présidente du tribunal n’apprécie guerre. L’audience est suspendue, sous les quelques applaudissements de la salle. 

La pause profite à Alexandra de Taddeo qui déambule tout sourire, en robe à sequins, son roman autobiographique, L’amour, à la main – dans lequel elle retrace l’affaire – entre les petits groupes venus la soutenir. Sa robe bleu turquoise, assortie aux yeux de son amant, se reflète comme un boule à facette sur les bancs du tribunal. Régulièrement, elle dévisage  l’assemblée d’un air satisfait. 

À ses côtés, Piotr Pavlenski  brille par le contraste  et s’enferme dans un mutisme après avoir instauré « sa règle du silence » entre deux hochements de tête. Il ne répondra pas aux questions du tribunal ou du partie civile. 

Dans l’après-midi, cinq témoins de la défense sont appelés, à leur tour. Trois d’entre eux sont des comédiens venus simplement répliquer Le Tartuffe de Molière. L’accumulation agace et pousse la présidente du tribunal à rappeler, à plusieurs reprises  : «  Ici, c’est un procès, pas un spectacle ! »

21 heures : après leur procès, Piotr Pavlenski et Alexandra de Taddeo quittent le tribunal côte à côte.

Crédits vidéo : Perla Msika

dans l’héritage de « L’histoire de l’art politique »

Mais un témoin majeur, peut-être le meilleur outil de la défense, parvient à rétablir le crédit du prévenu Pavlenski. Venue d’Amsterdam, aux Pays-Bas, l’historienne de l’Art, Carrie Pilto, s’est présentée à la barre. Elle est aussi commissaire de l’exposition collective « Someone is getting rich » au Tropenmuseum d’Amsterdam, et à laquelle l’artiste participe avec l’une de ses oeuvres Éclairage (2017). Son intervention inscrit le site « Pornopolitique » de Piotr Pavlenski dans le reste de sa carrière. 

L’artiste est connu pour ses performances extrêmes de body art ou de contestation politique : on l’a vu se coudre les lèvres en soutien au groupe féministe Pussy Riot, se clouer les testicules sur les pavés de la place Rouge, à Moscou ou incendier la façade de la Banque de France à Paris.

« Je veux bien reconnaître qu’une personne puisse se cacher derrière une activité artistique, reconnait Maître Yassine Bouzrou. Mais là, on a un artiste qui est considéré comme tel dans le monde entier, qui a réalisé des dizaines d’oeuvres ». L’avocat dénonce une enquête « scandaleuse » qui aurait toujours considéré son client comme un délinquant et non comme un artiste. 

Carrie Pilto explique aussi que le outils artistiques de Piotr Pavlenski sont constitutifs de l’histoire de l’art politique. Elle le compare au peintre du XIXème siècle, Gustave Courbet, un « républicain, communard  et laïque » liste-t-elle.

Il s’est notamment imposé comme une figure majeure de la Commune, tentative d’insurrection ouvrière opposée, en 1871, à l’instauration de la IIIème République, après la défaite de la France contre l’Allemagne. Un engagement qui l’a d’ailleurs mené en prison. Sur le plan artistique, Gustave Courbet refuse les codes académiques de son époque pour initier une peinture plus réaliste, en phase avec son époque.

Un bagage qui, pour attester de la légitimité de l’oeuvre de Piotr Pavlenski, vaut à Carrie Pilto de convoquer une toile. En 1862, Le Retour de la conférence visait, selon Gustave Courbet, à dénoncer l’hypocrisie du clergé, dépeignant des curés ivres et hilares. Le tableau fait scandale dans une France encore bercée par le socle religieux.

Plus tard, Courbet expliquera : « J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps. » L’explication est remise à l’ordre du jour par l’historienne : «  Piotr veut fait sauter les codes normatifs, faussement restrictifs des hommes et des femmes politiques. C’est d’ailleurs l’une des fonctions de l’art contemporain. » 

En plaidoirie, Maître Richard Malka persiste et oppose : «  On peut répéter une fable tant qu’on veut, ça n’en fait pas une vérité (…) l’art n’a jamais été un instrument de délation (…) c’est un instrument de civilisation. » Peut-être la plus grande différence entre Courbet et Pavlenski : l’un dénonce l’hypocrisie d’une institution dans son ensemble en peinture, l’autre s’autorise l’humiliation d’un homme et le choc obscène d’images privées pour servir son projet. 

La procureure relève, quant à elle, que « l’égo des prévenus » jouent en leur défaveur. Elle perçoit dans le comportement de Piotr Pavlenski davantage de « jouissance dans les conséquences médiatiques » de son travail que dans le travail lui-même. En temps et lieu du procès, elle estime donc que l’atteinte à la vie privée de Benjamin Griveaux supplante l’intérêt de la liberté artistique et de l’intérêt pédagogique pour le public.

Elle préconise six mois d’emprisonnement pour Piotr Pavlenski et six avec sursis pour Alexandra de Taddeo. Pour le reste, « c’est la justice, le temps et l’époque » qui jugeront du statut artistique de « Pornopolitique ». Mais la Cour n’attendra pas le cours de l’Histoire et doit rendre son jugement le 11 octobre prochain, au tribunal de Paris.  

Perla Msika

La Perle