Peut-on visiter une foire d’art sans prendre de photos ?

Du 21 au 24 octobre, le Grand Palais éphémère a accueilli le rendez-vous incontournable du marché de l’art : la Foire Internationale d’art contemporain (FIAC). L’objectif ? Parcourir les allées où près de 160 galeries présentent le travail de leurs artistes en espérant séduire quelques collectionneurs en visite. Un passage obligé pour tout mordu du marché, pour toute galerie de grande renommée.

Pour beaucoup, la FIAC est aujourd’hui à l’art ce que la Fashion Week est à la mode : l’occasion d’approcher un petit cercle d’initiés et de dire « j’y étais ».

Seulement voilà. Parmi la moyenne annuelle de 70 000 visiteurs, peu d’entre eux sont en réalité collectionneurs. Pour beaucoup, la FIAC est aujourd’hui à l’art ce que la Fashion Week est à la mode : l’occasion d’approcher un petit cercle d’initiés et de dire « j’y étais ». Si bien qu’à défaut d’acheter, il faut rentabiliser. Alors, comme pour se consoler, on dégaine le téléphone et emportons dans nos photos et divers réseaux un petit bout de sa visite. A priori, pas de souci.

Mais en bon prolongement de la main, il arrive que le portable devienne, – sans crier gare – le seul et unique témoin de notre flânerie. Rituel inconscient de nos manies contemporaines, on piétine l’air hagard avant de jeter son dévolu sur une œuvre qui interpelle puis 1… 2… 3 secondes avant de déverrouiller l’appli pour l’immortaliser – voire de s’immortaliser avec. Ceci, jusqu’à ce qu’on ai – littéralement – fait le tour. Voilà, c’est fini. 

Crédit photos : Perla Msika.

De quoi cette tendance est-elle le nom ? Entendons-nous bien, je suis de ceux qui gardent précieusement les souvenirs d’expos, de vacances, de bêtises des copains et de potentiels profil pictures. Mais en matière d’art, je m’interroge : que se passe-t-il lorsque les œuvres – supports de contemplation par excellence – se voient expédiées par la mitraille d’un iPhone ? 

En 2015, un étude canadienne du Laboratoire Microsoft comparait la capacité moyenne de concentration d’un être humain : passée de 12 à 8 secondes entre 2000 et 2013, elle touche particulièrement les 18-24 ans qui, pour 52 %, consultent leur téléphone – au minimum – toutes les 30 minutes. Résultat ? On ne cogite plus. L’œuvre se tient là, devant nous, le message à portée d’esprit. Mais plutôt que de l’aimer, de la questionner, de la critiquer – de la vivre en sommes – nous déléguons la tâche à notre portable qui archive l’expérience. Procrastination be like : réfléchir plus tard à ce que je vois maintenant. 

Instinct grégaire oblige, le phénomène se mesure à grande échelle. A la FIAC, il est même le maître des lieux. Plutôt que de passer pour la brebis égarée, nous enfilons le costume du mouton pour, à notre tour, faire comme tout le monde et photographier tout ce qui bouge. On veut prendre, nous aussi, le Macron masqué de Wang Du. Fier comme Artaban, on pose devant « le Murakami ». Et à quel prix ? Une vision irréductiblement caricaturale de l’art contemporain. 

“PLUTÔT QUE DE REGARDER L’ŒUVRE, NOUS DÉLÉGUONS LA TÂCHE À NOTRE PORTABLE QUI ARCHIVE L’EXPÉRIENCE. PROCRASTINATION BE LIKE : RÉFLÉCHIR PLUS TARD À CE QUE JE VOIS MAINTENANT.”

Ariel I – John DeAndrea – 2011 – bronze peint. Crédit photo : Perla Msika.

En privilégiant la photo à la visite, on enferme l’art contemporain dans ce qu’on lui reproche : une superficialité à outrance au détriment du propos. Ce que je vois et non ce qui est dit. On la connait, la story hilarante, qui d’un « moi aussi je peux le faire » moque l’art un peu trop conceptuel ; la preuve irréfutable que tu as vu « un vrai Warhol » ou le compte-rendu « Ça, c’est moi avec une œuvre de… » Mais finalement, qu’avons-nous à dire de la FIAC ? 

L’exercice n’est pas facile, j’en conviens. S’adressant d’abord aux collectionneurs, la FIAC est un grand spectacle où le terme fourre-tout « d’art contemporain » règne, lui aussi, en maître. J’en vois tellement – d’œuvre et de monde – que j’ignore quoi en penser. Et surtout, je ne veux rien rater. D’autant que la FIAC est d’abord – et sera toujours – faite pour consommer de l’art.

Reste, néanmoins, ce que les visiteurs peuvent en tirer : un moyen riche et ludique de s’initier aux 50 nuances d’art contemporain. A condition de ranger son portable : après tout, photographier c’est un peu s’avouer vaincu. Dans l’objectif, on se pose en spectateur – et donc en éternel outsider. Tandis qu’en appliquant les trois « C » – contempler, cogiter, commenter – on commence à s’y connaître. Et s’y connaître, c’est la première étape pour – enfin – faire partie du cercle.

Perla Msika

La Perle

Foire International d’art contemporain ( FIAC ) 
Du 21 au 25 octobre 2021 
www.fiac.com