L’Arc de Triomphe de Christo est-il un snobisme de la laideur ?

Sur CNEWS, le chroniqueur Mathieu Bock-Côté fustige l’intérêt artistique de l’Arc de triomphe emballé par Christo et Jeanne-Claude. Retour sur son propos : place à l’édito-décryptage.

Arc de Triomphe Wrapped – Christo et Jeanne-Claude – 1961-2021

Emballer c’est pesé. Après plusieurs années à élaborer ce projet titanesque, l’artiste Christo et son épouse Jeanne-Claude voient leur rêve d’emballer l’Arc de Triomphe se réaliser à titre posthume. Respectivement décédés en 2020 et 2009, ce couple de créateurs, connus pour leur audacieuse manie à empaqueter les monuments du monde entier interpellent marcheurs et conducteurs de la place de l’Étoile. Entreprise de génie, beauté contemporaine ou « snobisme de la laideur » ? De notre côté, c’est ce terme du polémiste Mathieu Bock-Côté qui nous a interpellés. Droit de réponse oblige, l’art contemporain se défend. 

“ VOILA DES GENS QUI SE CROIENT À L’AVANT-GARDE ”

Décédé à 84 ans, Christo ( 1935 – 2020 ) n’avait rien du jeune premier et son « avant-garde » pas moins de 67 ans d’âge. Artiste bulgare, il démarre aux Beaux-Arts de Sofia avec une peinture qui défie le parti communiste alors en place ; un parti pris qui l’empêche d’obtenir son diplôme. Il débarque à Paris en 1958 , tire le portrait pour gagner sa vie ce qui le met sur le chemin de Jeanne Claude, fille du directeur de l’Ecole Polytechnique. Il l’épouse. Ensemble, ils approchent le courant dit du Nouveau Réalisme – souvent considéré comme le Pop Art français – qui interroge le quotidien d’après guerre et plus particulièrement la société de consommation. Dans le prolongement de cette démarche, Christo et Jeanne Claude détournent l’art à commercialiser au profit de l’art libéré en réalisant projets monumentaux, éphémères et in situqui, démarrés en 1962, appartiennent déjà à la mythologie du paysage artistique français. Pour l’avant garde toute fraîche, on repassera… 

… Si tant est que le terme fasse encore autorité. Employée par celui qui la dénigre, l’avant-garde n’est qu’une nouveauté plus pompeusement nommée, une modernité qui dézinguerait la tradition bien en place. On se risque à ce stade à la question qui fâche : qui, en 2021, peut encore parler de modernité ? Les artistes en vogue changent aussi vite qu’un fil d’actualité. Le temps presse et la « tradition » telle qu’on la porte sur un piédestal – une œuvre figurative au message clair, répondant si possible aux exigences esthétiques classiques – a pris des rides et des coups dans la gueule. La beauté ne fait plus loi et laisse place à une complexité moins lisse mais ô combien plus savoureuse : dans le cas présent, c’est l’Arc de Triomphe, commémoration sur pierre des victoires napoléoniennes qui se voit, deux semaines durant – l’effort est supportable – recouvert d’un voile argent énigmatique.

“ C’EST UN SNOBISME DE LA LAIDEUR. VOILÀ DES GENS QUI HEURTENT LES LOIS DE LA BEAUTÉ ”

L’art se limiterait donc aux lois de la beauté. La Joconde ne serait ce qu’elle est uniquement parce qu’elle est belle et gracieuse. Comme pour décorer le mur du living room. Historiquement pourtant, l’art a rarement approché la fonction exclusivement décorative : il a servi le religieux, la connaissance scientifique ou même la communication des grands monarques. Et le limiter aux traits réguliers d’un visage ou au réalisme d’un paysage est réducteur. Non. L’art interroge, l’art bouscule et parfois, oui, il est beau. C’est un plus, un bonus. Autrement, les grottes de Lascaux – bien moins réussies que le visage de Mona Lisa – auraient alors peu d’intérêt artistique. 

Quant à la laideur, la mépriser est une erreur : elle est celle qui a donné le la d’une ère nouvelle en extirpant l’art qui se tient sage du cadre dans lequel on l’a parqué. Le laid, le bizarre, le complexe, le monstrueux ou la folie ont couronné Bacon, Dali, Niki de Saint Phalle et même Christo : l’emballage de l’Arc n’a rien de laid – ni même de beau. Mais il subjugue et c’est peut-être mieux : il suffit d’un drap pour rappeler qu’un gigantesque monument – on l’avait presque oublié – siège silencieux au cœur de la Place de l’Etoile. Devant lui, on prend conscience de l’espace. Mais capricieux, l’esthète maniaco-réac’ veut voir du beau. Du beau ou rien. Il exige avant de contempler, snob jusqu’au bout des pieds. Oserais-je dire… celui qui dit qui est ?

“ ON EST DEVANT UN TRUC INCOMPRÉHENSIBLE. MAIS APPAREMMENT, ON DOIT RENTRER DANS LE SENS PROFOND DE SON GESTE”

Rassurez-vous, rien ne vous demandera un tel effort : pas de sens, profond, ni d’incompréhension mais un tant soit peu de légèreté. Étonnez-vous ! Vous voilà devant près de soixante ans de travail, de croquis, de maquettes de négociations avec les pouvoirs publics pour recouvrir de 25 000 mètres carrés de tissu recyclable l’un des plus grands monuments français. Des réalités très concrètes qui permettent d’ailleurs d’introduire Jeanne Claude – épouse tristement oubliée de l’actualité – dans le projet. Maître d’œuvre de son époux, elle élaborait autant qu’elle répondait aux nécessités de projets d’envergure : d’abord avec le Pont Neuf ( 1975 – 1985 ) – présenté lors de l’exposition Christo et Jeanne Claude. Paris ! au Centre Pompidou en 2020 – puis avec l’Arc de Triomphe, les projets de Christo et Jeanne-Claude n’ont en effet demandé aucune subvention et n’ont été financés que par la vente aux enchères de leurs propres œuvres soit 14 millions d’euros. Un chiffre astronomique pour un projet sensationnel où l’homme, que rien n’arrête s’arme de tout ce qu’il peut pour agir sur son environnement, son architecture et tester alors sa marge de manœuvre, les limites de sa liberté. De quoi emballer tous ceux qui résistent encore à l’air blasé des plateaux TV. 

Perla Msika

La Perle

« Arc de Triomphe Wrapped » par Christo et Jeanne-Claude
 Du 18 septembre au 3 octobre 2021 
Pour réserver sa visite : tickets.monuments-nationaux.fr
Le monument et sa terrasse resteront accessibles au public 
pendant toute la durée du projet.