Lancé en 2021, le pass Culture peine toujours à convaincre. Promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, le chèque culturel destiné aux jeunes devait leur faciliter l’accès à la culture. Mais la Cour des Comptes dresse un bilan mitigé, et les élus boudent un dispositif qui, selon eux, n’a pas fait ses preuves. Enquête.

“Un gadget coûteux, très coûteux !” Voilà comment Sophie Taillé-Polian, députée “Ecologistes et social” du Val-de-Marne qualifie le Pass Culture. Symbole d’une approche consumériste de la culture, objet idéologique, démonstration d’une politique centralisée…Quatre ans après son lancement, les critiques à l’égard du dispositif ne manquent pas dans le champ politique. Des critiques qui s’inscrivent dans le rapport cinglant publié par la Cour des comptes en 2024 et qui dresse un bilan mitigé du dispositif.
Du côté du gouvernement, on réduit la voilure, mais on garde le cap. En mars dernier, Rachida Dati, la ministre de la Culture n’a eu d’autre choix que d’annoncer une série de réformes sur le fonctionnement du dispositif individuel – avec en prime un généreux coup de rabot budgétaire de 40 millions d’euros.
“Le problème de la culture ce n’est pas que le prix”
Lancé en 2021, le dispositif permet à chaque mineur de recevoir 200 euros de crédits qu’il peut dépenser via une application sur des biens culturels (livres, cinéma, concerts, spectacles vivants, musées, etc.). Et si de nombreuses collectivités territoriales ont déjà expérimenté des politiques analogues, le dispositif du Pass Culture se démarque par son déploiement national et le montant crédité.
En 2024, le ministère de la Culture a alloué 244 millions d’euros de son budget à la société du Pass Culture. À gauche, on critique une conception consumériste de la politique culturelle. En clair, on reproche au Pass de ne pas encourager les jeunes à découvrir de nouvelles pratiques culturelles.
“Il ne suffit pas de dire 'je te donne 100 euros pour acheter de la culture'. Il faut quelqu’un qui vous y accompagne” analyse Alexis Corbière (député NFP, ex-LFI) membre de la commission aux affaires culturelles.
Si le député de Seine-Saint-Denis ne réclame pas la suppression du dispositif, il se montre pour le moins sceptique sur la pertinence de ce dernier. “En France, la plupart des musées sont gratuits. Pourtant, ces institutions ont du mal à faire venir les jeunes. Le problème ce n’est donc pas que le prix”, insiste-t-il. D’où la nécessité pour lui, de ne pas délaisser la médiation pour rendre certaines pratiques culturelles accessibles.
La Fnac premier bénéficiaire du Pass Culture
Un constat partagé par Sophie Taillé-Polian, également membre de la commission des affaires culturelles. Elle, est favorable à la suppression du dispositif individuel. “J’ai vu des ados utiliser le Pass pour acheter des cadeaux d’anniversaire ou de Noël avec leur chèque, ou des garçons qui viennent acheter de la new romance à leur copine.” relève-t-elle. Pour elle, les crédits dépensés profitent moins aux petits commerçants de la culture qu’aux géants du livre et du divertissement.
Le livre représente entre 42% et 55% des crédits utilisés chaque mois. La Fnac est donc le premier bénéficiaire du Pass Culture, selon le rapport de la Cour des comptes. Mais pour l’élue, ce manque de diversification des pratiques n’est pas le seul écueil d’une politique culturelle tournée vers la consommation.
“Le Pass Culture, (...) ne peut pas financer les déplacements, or on sait que dans les milieux ruraux, pour aller au spectacle souvent on a besoin d’un bus. Cela n’a pas été pensé comme cela” pointe-t-elle du doigt.
“Dès qu’on habite en dehors de la métropole, c’est compliqué. Ce qui freine les jeunes, ce n’est pas l’offre culturelle, ce sont les transports” nous confirme un professionnel de la culture en Pays de la Loire. En 2025, la région a justement réduit son budget alloué au secteur culturel de 73%. Pas sûr que cette décision facilite le déplacement des jeunes vers les salles de spectacle.
Un aspect qui est aussi évoqué à droite de l’échiquier politique : “La dotation est actuellement adaptée selon l’origine sociale des bénéficiaires. Il faudrait également prendre en compte la dimension territoriale. Sinon cela provoque des injustices immenses” regrette Olivier Paccaud, sénateur Les Républicains de l’Oise et professeur agrégé d’histoire. Il regrette que la réforme du Pass Culture annoncée par Rachida Dati ne prenne pas plus en compte la ruralité.
“Un superbe objet de communication”
Pour Max Brisson, sénateur Les Républicains des Pyrénées-Atlantiques, le Pass Culture est un exemple classique des écueils qu’on retrouve quand l’Etat s’approprie des prérogatives territoriales. “Ce dispositif souffre des travers de notre système jacobin (ndlr, un Etat centralisé, par rapport à un système régional). Est-ce à l’Etat de diffuser de tels dispositifs ? Je pense qu’en travaillant avec les collectivités, on aurait été beaucoup plus efficaces dans l’accès du plus grand nombre à la culture.”, estime-t-il.
Il dénonce aussi une politique inefficace et coûteuse dont l’objectif premier serait de faire briller le président de la République. “Ce n’est pas une politique d’accès à la culture pour tous. C’est un superbe objet de communication au service de l’exécutif politique. »
Max Brisson se montre également critique sur le catalogue proposé par le Pass Culture. D’après lui, certaines offres, à l’image du Puy-du-Fou, ont été exclues du dispositif pour des raisons idéologiques. Fondé en 1989, le Puy-du-Fou est un parc à thème sur l’Histoire de France.
“Le rejet du parc, c’est parce que c’est Philippe de Villiers (ndlr, figure de la droite catholique conservatrice, et fondateur du parc d’attraction vendéen). C’est parce que c’est populaire et que ça ne rentre pas dans les canaux de la gauche “bien pensante”. Ça en dit long sur leur soi-disant progressisme”, s’agace le sénateur des Pyrénées-Atlantiques.
De même, Olivier Paccaud, s’interroge : “Certaines manifestations culturelles, à l’image de la fête de l’Humanité y sont éligibles … Il y a des concerts, c’est très bien. Mais je ne suis pas persuadé que ce soit plus culturel que le Puy-du-Fou”. Sur son site, le Pass Culture présente la fête de l’Huma comme un événement “où la culture est prise au sens large, avec plus de 50 grands concerts, plusieurs expositions d’art, du cinéma, de l’art de rue”.
Le Puy-du-Fou, cheval de bataille de la droite
Interpellé sur le sujet le 15 janvier dernier par la députée d’extrême droite (Identités et Libertés), Anne Sicard, le président de la société du Pass Culture avait défendu la position du dispositif. “Aujourd’hui, le Puy-du-Fou n’est pas éligible au Pass Culture car c’est considéré comme un parc d’attractions. Et les parcs d’attractions ne sont pas admis pour éviter les effets de bords avec le parc Disney par exemple”, s’était alors défendu Sébastien Cavalier.
La polémique a néanmoins reçu un certain écho. Si bien que la ministre de la Culture a annoncé le 30 janvier dernier, l’ajout des spectacles du Puy-du-fou disposant d’une billetterie indépendante au parc. Cela concerne le spectacle de la Cinéscénie, une des attractions phares du parc.
Proposant aux spectateurs de retracer sept siècles d’Histoire de France à travers le regard d’une famille vendéenne, de nombreux historiens ont dénoncé des erreurs et des biais sur le déroulé de la Révolution française notamment. Des erreurs qui loin d’être innocentes selon eux, servent un idéal idéologique cher à l’extrême droite.
Pour Alexis Corbière, l’admission de la Cinéscénie au Pass Culture a un goût amer. “Rachida Dati m’a dit qu’il y a une partie spectacle vivant et que le ministère était obligé de le reconnaître. Et si on dit cela, la moindre parade Disney peut être considérée comme un spectacle vivant. Après tout, il doit aussi y avoir des intermittents.”, explique le député NFP, pour qui Rachida Dati s’est faite “piégée”.
Toujours est-il que si l’admission du spectacle phare du Puy-du-Fou au catalogue du Pass Culture représente une victoire politique pour la droite conservatrice, elle reste surtout symbolique. Preuve en est l’usage que font les jeunes du Pass Culture : le spectacle vivant représente moins de 1% des crédits utilisés par les bénéficiaires.
Quatre ans après son déploiement à l’échelle nationale, le Pass Culture est dans l’impasse. Pour répondre aux critiques, le gouvernement a réduit la voilure en délestant un peu les budgets. Objectif, semble-t-il, réduire l’ambition d’un projet au départ très promu par l’exécutif. Réduction des crédits, changement de tête à la présidence de la société du Pass et variations du mode de fonctionnement…
En 2025 pourtant, c’est l’aspect le plus salué du Pass Culture que le gouvernement a décidé de saborder. Avec sa part dite collective créée en 2022, le Pass Culture devait permettre aux collèges et lycées le financement de l’éducation artistique et culturelle. D’un montant de 97 millions d’euros lors de l’année scolaire précédente, c’est cette part qui a été gelée de 50 millions d’euros en début d’année.