Mélanie tourne le dos à Diam’s

“Prosélyte” pour certains, “apaisée” pour d’autres, l’intervention de Mélanie Diam’s pour Brut a divisé l’opinion publique. Et si le vrai problème de l’ex-rappeuse, c’était d’abord le déni ? En attendant la sortie de son documentaire, Salam, place à l’édito-décryptage.

En 2006, DIam’s sort Dans ma bulle. 800 000 albums vendus en un an.

Alors que Diam’s est récemment réapparue sous les traits d’une Mélanie couverte par le jilbab – tenue longue et ample portée par certaines femmes musulmanes au nom de la pudeur – le débat public s’est cristallisé, à son sujet, en deux positions divergentes. Dans l’entretien qu’elle a accordé à Augustin Trapenard pour Brut, jeudi 26 mai, certains ont vu l’expression d’un prosélytisme assumé, critiquable, piétinant le féminisme que la rappeuse incarnait autrefois ; d’autres le visage d’une femme apaisée, épanouie, dont les démons ont été chassés par la parole religieuse. Plus de 3,5 millions de vues et d’avis – sur Youtube seulement – qui y vont de leur voix pour décrypter cet échange. Les mots, après tout, on leur fait dire ce qu’on veut. 

Mon avis à moi, s’est forgé au creux de ce qui a fait le succès de l’intéressée : la musique. Dans le cadre de l’exposition « Hip Hop 360 », la Philharmonie de Paris revient, entre autres, sur la percée du rap français dans le paysage musical, des années 1980 à nos jours. Diam’s, bien entendu, y tient une place de choix. 4 albums, 4 sifflements et c’est toute une « génération Non Non » qui témoigne de ce qu’elle a apporté à une discipline stigmatisée – autant par les institutions que par les rappeurs eux-mêmes. Inclassable, elle a pourtant coché toutes les cases. Et ouvert une brèche pour les femmes – restée béante, encore aujourd’hui.

Dans la frise chronologique qui retrace les instants clés du rap français, son album Dans ma bulle, sorti en 2006, trône entre L’École du Micro d’argent d’IAM ( 1997 ), monument musical pionnier, et les débuts de l’autotune impulsés par Booba ( 2008 ). Dès 1999, elle saigne le studio de Skyrock avec un freestyle inédit – le premier d’une longue série – pour l’émission de Fred Musa « Planet Rap » qui n’a alors que quatre ans (1996). À cette époque, celle de son premier album, Premier mandat, elle ne vend que 8000 exemplaires. Sept ans plus tard, elle en vend 100 fois plus : Dans ma Bulleexplose tous les records avec 800 000 albums vendus. Sur un ton malicieux, ou déchirant, toujours percutant, elle chante sa France à elle : celle du bagou et du baggy, des banlieues du temps de « Sarko » et du féminisme streetwear , du racisme et des hypocrisies politiques, des vulnérabilités et des rêves de jeune femme. En tournée, elle crache dans le micro d’Au Tour de ma bulle, ses colères personnelles, autant que sa haine pour Marine Le Pen. « La Petite banlieusarde »l’ouvre pour tous les autres. Icône malgré elle, elle donne de la voix, sans vraiment savoir chanter, jusqu’à ce qu’une salle comble de 5000, 8000, 10 000 personnes et plus « emmerdent ( Qui ? ) Le Front National ». Rap conscient mais pas ronflant. 

La quarantaine bien entamée, « Mélanie Diam’s » a aujourd’hui l’âge du rap. Elle assure, dans son entretien, qu’elle ne « renie pas son passé. » Or, tout mène à attester du contraire. Le problème n’est pas tant qu’elle soit, aujourd’hui, tenante d’une pratique rigoriste de l’islam, ni même que son documentaire Salam – qui revient sur la guérison de son mal-être par la foi – ne montre pas le corps des femmes, ni ne diffuse de musique. Tant qu’il est soumis à la critique, celle du Festival de Cannes ou du public, il a le mérite d’exister. Fusse-t-il produit par Brut X et promu par un journaliste qui, employé par le même média, n’a pas pris soin de poser des questions cohérentes. 

Non, le vrai problème de Mélanie, c’est le déni : on ne peut pas tirer des leçons de son passé, et l’accepter, en refusant de le regarder dans les yeux. Se dire « spectatrice » de l’héritage qu’on laisse comme si l’on était déjà mort. Proposer une lecture de sa carrière passée au prisme de ses valeurs d’aujourd’hui. Pas une seule de ses musiques n’est citée dans un documentaire sur sa propre vie. Pas un seul de ses clips. « Ça ne m’appartient plus » reconnaît-elle, pour se protéger, se défaire, se dédouaner. Comme si des souvenirs pouvaient mordre ou dévorer. Et puis, souhaiter à ses enfants de se construire sur autre chose que «tout ce qui peut toucher aux passions» – dont la musique – sous prétexte que la « destruction » n’est jamais loin, ce n’est pas se connaître, c’est fuir. Fuir et s’enfermer dans une autre bulle. Et puis d’ailleurs, qui peut prétendre vivre sans passion ? Si ce n’est pas ceux qui ont déjà renoncé à vivre ? « Il n’y a rien qui restera. Tout le monde partira. » conclut-elle, mise K.O par « ce monde qui salit ».

« Mélanie Diams » signe son documentaire de sa double identité. Il est alors cohérent de s’adresser aux deux facettes d’elle-même : Souhaitons « bon vent » à Mélanie mais reprochons lui d’avoir tourné le dos à Diam’s. Reléguer son passé de chanteuse au rang de vie antérieure, proche du gouffre et du superficiel, c’est nier tout ceux qui l’aiment ou l’aimaient pour ce qu’elle racontait. De la vie, du monde, des femmes. C’est faire de sa propre lecture, une vérité. Sa mémoire s’assoit sur l’Histoire, et sa Paix, semble-t-il, se voile la face.

Perla Msika

La Perle

Salam
Un documentaire de Mélanie Diam’s, Houda Benyamina et Anne Cissé