
Il est de ces phrases sincères qui, à force d’être répétées, perdent de leur substance. Comme un slogan publicitaire, une anecdote ou une blague trop usée. Tonitruées à tort et à travers, ces répliques tournent à l’insipide, au tristement consensuel. Malgré elles et malgré ceux qui les martèlent.
L’exemple prenant que nous a gracieusement offert le stop & go de la crise sanitaire n’est autre que le « Vous nous manquez » adressé au public par les institutions culturelles. Simple mais efficace. De bon ton – et de bonne communication. En d’autres termes – ceux de Marina Foïs, maîtresse de la 46ème cérémonie des César – : « disons que votre valorisante et narcissisante approbation en tant que groupe nous a manqué ». Sarcasme et cynisme, voilà qui sied mieux à l’année 2020.
Mais retour à l’envoyeur, comme on dit. À moi, spectatrice – de films et de César – de jouer carte sur table. Chère grande famille du cinéma, vous avez « hâte de nous retrouver ? » On vous croit. Et sincèrement, nous aussi. Pourtant, votre toute dernière apparition sur le petit écran de nos télévisionsn’a pas vraiment honoré vos douces déclarations. Nous qui, vendredi 12 mars 2021, pensions effleurer les quelques émotions trouvées cette année en salles obscures, avons été conviés à une réunion de politiques en colère et haute couture vaguement branchés cinoche.
Sachez-le : vos causes nous touchent. Vos mots, vos nudités, votre cynisme sobre ou corsé, on prend tout. Mais quel sens ces engagements ont-ils lorsque le cinéma s’en éclipse ? Que se passe-t-il lorsque la passion n’est plus qu’une vague toile de fond ? Que l’envie de partager son œuvre se substitue au seul con-cours de récré d’ « à qui criera le plus fort ? » Rien. Loin d’être subtilement défendues, les injustices creusent encore et les audiences chutent. Les plus faibles depuis dix ans.
« Facile à dire » dirait Foïs ou Foresti. Et à juste titre : le confort de la critique – tout comme le strass et les paillettes – m’est bien trop agréable. Mais puisqu’il aime à muter en pandémie meurtrière, refaisons le monde : et si les César étaient remis par des inconnus ? Et si vous laissiez aux anonymes, aux cinéphiles, aux nouveaux du métier le soin de vous célébrer ?
Elle, vous dirait qu’ « Adieu les Cons » résonne en son cœur comme un étrange avant-goût de l’avenir 2.0. Eux, remercieraient « Mignonnes », « Adolescentes » et « Été 85 » pour avoir servi de repères à une jeunesse assaillie par le doute. Quant à lui, il distinguerait « Tout simplement noir » pour avoir mis un pied dans le plat des malaises et non-dits français. Autant de candidats que de passionnés qui vous prouveraient volontiers combien « vous nous manquez ».
Le cinéma n’est pas une tribune politique. Du moins, pas directement. Prétextant la fiction, il penche volontiers pour l’allusion et fonce dans le tas d’une réalité inventée. C’est sa manière à lui de s’engager. Après tout, que fait la « Polisse » ? Elle révèle autant que « La Haine » des messages tantôt « Misérables », tantôt « Hors Normes ». Voyez ? Entre rires, pleurs et colères, quatre preuves que des César au box-office, vous savez y faire. Sans grande cérémonie, l’art serait-il le meilleur des arguments ?
Alors à quoi bon ? A quoi bon feindre l’indignation grossièrement interprétéequand la passion suffit à persuader ? A quoi bon jouer au tribunal populaire devant un entre-soi qui ne l’est pas ? Assumez donc ce pas de côté dont les artistes se servent pour dénoncer. Ou sinon, laissez-nous faire. Laissez-nous vous rencontrer, vous saluer, partager vos premier pas. La boucle serait bouclée et « ce qui nous lie » revêtirait sans plus de débats, une allure essentielle.