La relève arrive parfois là où on ne l’attend pas. Léonard de Vinci (1452 – 1519) entrait dans la légende, il y a aujourd’hui 500 ans. A cette occasion , le musée du Louvre, foyer d’une Mona indémodable, offre à sa foule de visiteurs une exposition événement au corpus d’œuvres unique. Un hommage fort mais traditionnel.
Mais c’est à une commémoration tout autre que Jisbar, artiste français néo-pop, s’est essayé le 11 décembre dernier, à 11:03 précise : en envoyant sa « Punk Mona » à 33,4 km d’altitude au dessus de la terre, il rappelle que si Léonard était artiste, il n’en était pas moins scientifique, Au moyen d’une nacelle carbone sur mesure et d’un ballon d’hélium biodégradable, l’artiste propulse le souvenir du maître de la Renaissance directement dans les étoiles. Leonard Superstar.
L’expérience inédite ayant rapidement fait les gros titres, Jisbar et sa Mona – ayant, après trois heures d’apesanteur, désormais rejoint la terre ferme – ont posé leurs valises – et une dizaine d’autres toiles – à la Galerie Montmartre. Ils quitteront la Butte le 11 février prochain en direction de l’Angleterre. Rencontre Place du Tertre.
Comment es-tu devenu artiste ?
Par la force des choses. Je ne savais pas trop quoi faire d’autre qu’un truc qui me rendait libre. J’ai essayé de travailler normalement et ça ne m’a pas plu. Donc j’ai décidé d’arrêter. J’avais l’art comme passion depuis tout jeune. De là, j’ai commencé à avoir quelques demandes sur ce que je produisais. Au début ça restait très gentil, puis petit à petit je me suis décidé à forcer un peu le trait pour essayer d’en vivre et d’exploiter la piste de l’art. De fil en aiguille, de contact en contact, ça s’est fait assez naturellement. Et j’en ai fait mon métier. [ Tu n’as pas ressenti le besoin de d’y ajouter une formation ? ] C’est un peu à double tranchant. Une formation t’apprend les quelques bases de l’Histoire de l’art. Et c’est vrai qu’au début, j’ai un peu ramé pour apprendre les bases de la peinture. Ceci dit, aujourd’hui avec Internet – et avec l’expérience surtout – tu peux tout apprendre.
Ça a aussi été un avantage de ne pas faire d’école artistique, dans le sens où je n’ai pas été formaté dans un schéma de création précis. Je me suis fait moi-même de A à Z. Ce que je peint, je l’ai appris et expérimenté tout seul : ce qui marche, ce qui ne marche pas, comment le faire, l’optimiser, le créer à ma façon, le détourner… Je trouve qu’apprendre par soi-même forge une identité artistique plus forte : tu n’a pas de repères, tu pars de rien. Tu te retrouves donc obligé de tout construire toi-même.
Ton travail mélange grandes références artistiques et pop culture. Ces deux domaines ont-elles donc vocation à se côtoyer ?
L’art permet d’être totalement libre. Sur une toile blanche, le seul maître de la finalité de l’œuvre, c’est toi. Si tu veux dessiner une Mona Lisa complètement déjantée, aucune règle ne peut t’en empêcher. Les seules règles qui peuvent te freiner, ce sont celles que tu t’imposes. Donc pour moi, on peut tout mélanger dans l’art. Tout. Il n’y a aucun problème. Au contraire, j’ai commencé à travailler avec toutes ces reprises parce que ça me permettait de forger ma culture artistique et de la mélanger aux références pop qui m’étaient personnelles. C’est ce mélange là qui a finalement forgé mon identité artistique.
Tu as envoyé une de tes œuvres dans l’espace. D’où t’es venu l’idée de ce projet inédit ?
On me l’a soufflée à l’oreille quand j’étais en exposition à Bangkok. Kostar, un ami que je connaissais avait des compétences dans ce domaine. Je répète sans cesse que j’adore les projets un peu fous. Il m’a alors proposé de réaliser celui-ci. De prime abord, ça ne m’a pas transcendé. J’étais sur d’autres projets et je me disais que c’était impossible à faire. Il a insisté. Et il a eu raison : c’était une idée que lui, était tout à fait en capacité de faire et qui, quant à moi, me correspondait totalement. On a finalement repris un rendez-vous, longtemps discuté de la faisabilité de la chose et de son financement et puis on s’est lancé.
Après ça, on a tout étudié, tout calculé. Il y avait beaucoup de contraintes, des choses très techniques qui ne me parlaient pas du tout. J’aime être simple, rapide, percutant. Là, en l’occurrence, l’objectif était de parler le même langage, entre artistes et techniciens et par chance, ça c’est très bien passé.
Y avait-il une symbolique à envoyer Punk Mona dans l’espace ou était-ce simplement le goût du challenge ?
Il y a forcément le goût du challenge. La symbolique était de pouvoir montrer une toile dans un univers autre que les murs blancs de la galerie et en l’occurrence dans laquelle on ne l’avait encore jamais vue. Bien sûr, c’est très important pour moi d’être présent dans ces lieux d’exposition traditionnels. Mais finalement, un vernissage, qu’il ait lieu à Londres ou à Bangkok, reste sensiblement le même. Pouvoir exposer une œuvre mondialement dans un endroit qui n’avait encore jamais été vu, me semblait vraiment un challenge intéressant.
Le but était aussi de lancer l’œuvre sans pollution, ni déchets (ndlr, le ballon biodégradable gonflé à l’hélium avec zéro émission et aucun combustible). C’ était vraiment important pour moi parce qu’en fin de compte, ça rend l’expérience de l’Homme à la Terre un peu plus… tangible : voir quelque chose qui se trouve constamment au – dessus de nous, nous montrer la beauté de l’environnement dans lequel on vit… Cette beauté se trouve à portée de main et nous sommes en train de tout bazarder. Si mon expérience peut nous faire prendre conscience que la Terre est la seule chose qui vaille la peine d’être sublimée, tant mieux. Après tout, l’Homme n’a rien inventé. Tout ce que nous produisons, les énergies, les pigments, les couleurs proviennent de la Terre.
Pour ce qui est de l’œuvre en tant que telle, le choix de la Mona Lisa était forcément lié aux 500 ans de commémoration pour Léonard de Vinci. je trouvais le clin d’œil sympa sachant que j’ai réalisé cette Punk Mona il y a une dizaine d’années. C’est une icône universelle que j’adore reprendre.
Pour mener à bien ce projet, tu as collaboré avec des physiciens, des mathématiciens… Les sciences dures peuvent t-elles potentiellement inspirer ton travail ?
Pour ce qui est de l’expérience Punk Mona, les scientifiques m’ont donné un cadre. Eux connaissaient les contraintes liées à l’envoi de l’œuvre ; moi, je connaissais l’ensemble des contraintes liées à la peinture. Il fallait alors mixer les deux approches. Mais si mon approche artistique s’est finalement révélée plus simple, leurs contraintes à eux, restent inflexibles : envoyer une toile souple, composée de coton, ce n’était tout simplement pas possible. Ils m’ont donc donné un cadre fixe ; et avec cela, il fallait ensuite dialoguer et comprendre pour que l’œuvre puisse entrer dans le cadre de possibilités.
Selon toi, qu’aurais pensé Leonard de Vinci de cette folle expérience artistique ?
S’il avait la capacité de le voir maintenant, je pense qu’il l’aurait déjà fait avant moi (rire) Mais sinon… C’est difficile de se placer à la place de quelqu’un d’autre. J’espère du moins qu’il en serait content : j’ai fait ça dans le but de pouvoir aussi rendre hommage au génie qu’il était.
De quels artistes de la scène contemporaine te sens-tu proche actuellement ?
Alors, ça n’a rien à voir avec mon travail, mais j’aime beaucoup Chloé Wise, une artiste new-yorkaise, complètement déjantée. Elle s’inspire entre autres de la mode, et dans la mode de modèles particuliers, un peu androgynes, parfois travestis. Elle les peint de manière réaliste, ultra saturée mais en même temps imprécise. J’adore aussi Trouble Andrew, un mec qui bosse avec Gucci et qui saccage tout. C’est un peu le nouveau Basquiat. Il s’en fout, il s’exprime sur la toile et voit ce que ça donne. Il y a aussi Nina Chanel Abney, une autre artiste new yorkaise. Ses personnages sont à la fois très colorés et très géométriques. Elle parle beaucoup de dérives policières mais sous la forme de cartoon.
Un peu d’actualité maintenant. La banane – Comedian – de Maurizio Cattelan s’est vendue, et par deux fois, pour la modique somme de 120 000 dollars. Qu’est ce que tu en penses ?
Eh bien, bravo à lui ( rire ) !C’est parfois les idées les plus simples qui fonctionnent très bien. J’ai suivi l’image de loin par Instagram, mais il y a intérêt à avoir un bon storytelling ; pour avoir une œuvre à ce prix là, et si facilement réalisable, il faut bien évidemment la faire comprendre. C’est Yves Klein je crois qui signait un bout de papier, le vendait une fortune et le brûlait juste après. Et c’est très bien que des gens soient assez fous pour investir dans ce genre de projets, apprécier ce genre d’idées. Pour moi, aucune forme artistique ne doit être dénigrée. Après soit tu adhères, soit tu adhères pas, mais toute œuvre est bonne à créer.
[« J’aurais pu le faire » n’est pas un argument valable pour toi ? ] Eh bien à cela, j’ai envie de répondre « fais – le ! » Il y a une histoire comme ça : celle de Picasso, qui dans un restaurant à Collioure, dessine quelque chose, à la demande d’un homme. Il fait un truc en quelques secondes et l’homme lui répond « C’est tout ? Mais ça n’a duré que quelques secondes ! » Et à Picasso de répondre « J’ai pris vingt ans à apprendre à faire cela en quelques secondes. » D’autant que l’art reste le seul endroit où tu peux encore t’exprimer librement. Aujourd’hui tu ne peux plus rien dire dans les médias, ni même au cinéma. Tout doit rentrer dans des cases. Le choc en art est encore toléré et cela parce que les artistes choquent justement depuis la nuit des temps.
Quels sont tes projets pour la suite ?
En ce moment, on tourne avec mes galeries, autour des foires d’art contemporain : Art Miami, Milan Art Fair… Pour le reste, je laisse une part de mystère mais ça aura probablement lieu autour des Etats Unis, d’Istanbul, de Singapour et de Venise ; Des solo-shows auxquels j’essaye toujours d’apporter de la nouveauté.