Du mécène style Renaissance aux hommes d’affaires contemporains, on sait combien le statut de collectionneur intrigue. Quelle idée tout de même d’amasser sans cesse peintures et sculptures pour le simple orgueil de les faire siennes ! Pourquoi diable collectionne-t-on ? Et quelle est donc cette fièvre qui en anime plus d’un ?
Un simple regard sur la collection Paul Haïm et nos questions trouvent réponse. Décédé en 2006, l’ écrivain et marchand d’art rendit au statut collectionneur son âme de magicien. De faiseur de sublime.
Avec la Petite Escalère – sa propriété située sur les bords de l’Adour – il fit de son jardin le lieu de réconciliation entre l’art et la nature. Paradis des artistes, le jardin de la Petite Escalère réunissait en effet l’ensemble de sa collection d’œuvres modernes et contemporaines.
Cadeaux ou acquisitions coup de cœur, ces œuvres sont aussi les témoins d’amitiés et de liens noués entre Paul Haïm et les artistes exposés : Miró, Matta, Zao Wou-Ki, Di Suvero et tant d’autres… Tous ont pris plaisir à voir leur travail reposer parmi les arbres, les bassins, les bosquets.
A l’occasion de la vente « Le Jardin secret de Paul Haïm » – programmée chez Christie’s le 22 octobre prochain – la collection s’est trouvée exceptionnellement exposée au siège de Kering, entre les jardins et la chapelle de l’ancien hôpital Laennec.
Là-bas, j’ai eu la chance d’y rencontrer Dominique Haïm, fille de Paul, collectionneuse et digne héritière de cette incroyable collection. Ses propos, touchants, mêlent anecdotes et émotions.
Quel genre de collectionneur était votre père ?
Mon père n’a jamais voulu créer de collection. C’est plutôt le hasard qui a fait les choses. Dans l’une de ses interviews, il avoue d’ailleurs n’avoir jamais envisagé qu’une oeuvre – non vendue – puisse se retrouver dans sa collection. Et à l’inverse, tout ce qui a pris place dans son jardin n’a jamais eu vocation à être vendu. Mais je pense qu’aujourd’hui, il serait très heureux de cette vente aux enchères.
Quelle était son œuvre préférée ?
Cela, je l’ignore. Ce que je sais par contre, c’est que deux œuvres ont été créées spécialement pour le jardin de la Petite Escalère : la Mosaïque de Zao-Wou-Ki et Dominique Hideuxet l’Eramen de Matta. Mon père avait une vraie complicité avec Matta. Il a notamment eu le plaisir de recueillir ses propos dans un recueil d’entretiens inédit intitulé Agiter l’œil avant de voir (ndlr, publié en 2001 aux éditions Séguier).
Il était aussi très proche de Chillida, lequel venait régulièrement se promener dans le jardin. Un jour, l’artiste dit à mon père : « Mais dis moi, tu n’as pas de Chillida dans ton jardin ». Paul répondit : « Tu as tout de suite été trop cher. Je n’ai jamais pu m’offrir une de tes œuvres ». Puis lors d’une exposition Chillida à la Galerie Lelong, mon père s’est offert l’un des 5 murs en céramiques qui étaient exposés. Il décida alors de l’installer près d’un bassin dans lequel l’œuvre se reflétait. Lorsque Chillida revint visiter le jardin, mon père lui dit avec humour : « Tu vois, j’ai bien fait d’attendre.. J’ai eu deux Chillida pour le prix d’un » (rire). Chaque œuvre avait son anecdote et surtout, chaque œuvre le faisait sourire.
Et la votre ?
C’est difficile de choisir. C’est vrai que j’ai une sensibilité pour l’arbre Eramen de Matta. J’ai d’ailleurs longuement hésité avant de le donner à Christie’s. Et puis finalement, après la mort de ma belle-mère il y a trois mois, j’ai décidé de donner son œuvre. Ainsi, l’histoire se clôture définitivement. Des traces resteront, bien sûr, grâce aux catalogues. Mais je souhaite avant tout que cette vente soit un bel hommage à mon père. Et dans ce lieu (ndlr,, la chapelle de l’ancien hôpital Laennec) c’est assez magique.
Est-ce vous qui avez choisi ce lieu d’exposition ?
Non, c’est Christie’s. Mais quand ils sont venus me montrer l’endroit, j’ai justement remarqué – en sortant par une cour intérieure – que les fenêtres du dernier appartement où a justement résidé mon père – au 50 rue Vaneau – donnent sur le jardin du siège Kering. Là où sont actuellement présentées les œuvres C’était un signe. Nous devions exposer ici.
Vous êtes vous-même collectionneuse. Comment qualifieriez-vous votre propre sensibilité artistique ? Sentez-vous les influences de votre père ?
Oui, je crois. J’ai une âme de collectionneuse. Dans le très contemporain, j’aime beaucoup le travail de Dan Graham, de Cristina Iglesias et de l’artiste basque Azier Mendizabal. Je rêve d’avoir un jour un Odilon Redon entre les mains. Peut-être un jour.
La vente « Le Jardin secret de Paul Haïm » est prévue le 22 octobre prochain chez Christie’s. Comment appréhendez-vous ?
Pour tout vous dire, je ne serai pas présente pendant la vente. Cela reste trop difficile pour moi. C’est une histoire qui a commencé il y a deux ans et au début de la crise sanitaire, je me suis demandée si nous devions maintenir – ou non – la vente en octobre. Si nous la reportions, il fallait attendre de nouveau deux ou trois ans. Je ne le voulais pas. Alors même si ce n’est pas le moment le plus optimum pour réaliser la vente, je souhaite qu’elle ait lieu maintenant.
Bien sûr que je l’appréhende mais en même temps je suis confiante. L’après- vente sera peut-être un peu curieux. Revenez m’interviewer le 23 octobre (rire) Mais en tout cas, je l’ai accepté. Cette vente sera ce qu’elle sera.
Ces œuvres ont été exposées dans un jardin. Ce n’était pas très commun pour l’époque.
Quand j’ai repris le jardin en 2006, j’ai non seulement commencé à organiser des résidences d’artistes, à inviter des personnes à exposer leurs œuvres le temps d’une saison mais aussi à tenir un blog intitulé Sculpture Nature. J’ai voulu y recenser tous les jardins de sculptures dans le monde. Grâce à cela, j’ai bien sûr remarqué qu’il en existait beaucoup. Mais aucun ne ressemble au nôtre : un jardin créé dans son intimité, non ouvert au public. Aujourd’hui, on ne collectionne plus comme on le faisait avant. Les œuvres qu’on présente sont davantage des trophées – un Louise Bourgeois, un Anish Kapoor, Un Calder – que des témoignages d’une intimité entre l’artiste et le collectionneur.
Mais retirer ces œuvres du jardin, n’est-ce pas leur retirer une part de leur charme ?
Si justement. Je suis étonnée – et quelque part très heureuse – que ces œuvres soient découvertes ici à Kering, comme une collection. Jusqu’à présent les personnes qui les avaient découvertes ne les avaient contemplées qu’au travers d’un jardin. Et non comme une collection à part entière.
Ce jardin va-t-il perdurer ?
Quand Christie’s est venue me proposer cette vente, il y a deux ans de cela, ma belle-mèrevivait encore. Et pour moi tant qu’elle vivait, le jardin devait continuer d’une certaine manière. Jeanette est décédée le jour où le dernier camion a emporté les œuvres pour la vente – et elle ne le savait pas ! Donc aujourd’hui, je ne peux pas vous dire. J’aimerais garder la propriété de la Petite Escalère car mes enfants et moi même y avons un attachement. Nous y venions tous les étés. En tout cas, c’est une belle histoire, un hommage à une manière de collectionner.