Dans le regard des artistes de l’Arte Povera

Le Jeu de Paume et le BAL se réunissent autour d’un projet commun consacré à l’art contemporain italien. Axée sur les années 1960 à 1970, cette exposition fait découvrir l’utilisation des médias, comme la photo et la vidéo, au sein d’un courant artistique appelé Arte povera.

Les artistes de l’Arte povera s’intéresse aux différents médias qui, dans les années 1960, prenn~dans le processus de création. Giuseppe Penone Roversciare i propri occhi – Projetto [Renverser ses yeux – Projet] 1970.

Le Jeu de Paume et Le BAL présentent une exposition commune consacrée à des artistes de l’Arte povera. Ce mouvement italien s’intéresse particulièrement aux différents médias qui, dans les années 1960, prennent de plus en plus de place dans le processus de création. Par ces outils, la photo et la vidéo entre autres, les artistes italiens redéfinissent le regard du spectateur sur l’art en proposant d’autres manières, plus brutes, de raconter la réalité.

REDÉFINIR LE REGARD

Intitulée « Renverser ses yeux », l’exposition fait référence à l’œuvre éponyme de l’artiste Giuseppe Penone dont différentes versions sont présentées au cours de la visite : des autoportraits où l’artiste porte des lentilles réfléchissantes sur lesquelles on aperçoit des scènes de vie. Une manière d’illustrer non pas l’œil mais ce qu’il voit. De raconter la vie sous son propre regard. À travers ses œuvres, Penone tente de donner à voir l’invisible tout comme l’artiste Gilberto Zorio dont le message de ses œuvres ne s’affiche qu’une fois la photographie développée.

Un artiste comme Michelangelo Pistoletto déplore, quant à lui, l’absence de « vie réelle » dans le marché de l’art, notamment les galeries. Rien que des murs blancs parés de tableaux abstraits ou des couleurs criardes des artistes pop américains, qui, à l’époque, rencontrent un franc-succès. Pour s’opposer à ces courants, l’artiste décide de sortir l’art des galeries : à partir de 1966, il roule une gigantesque sphère de papier journal dans les rues de Turin, en Italie. Il y amasse l’information, l’actualité, bref, la réalité racontée et rapporte ensuite cette boule dans les galeries. Un propos constitutif de l’Arte povera : relier la vie et l’art.

“PISTOLETTO VEUT SORTIR L’ART DES GALERIES. DANS LES RUES DE TURIN, IL ROULE UNE GIGANTESQUE SPHÈRE DE PAPIER JOURNAL.”

Photo : Michelangelo Pistoletto, Mappamondo, 1966-68, journal compressé et fer. Crédit photo : Céline Bonnelye.

Cette révélation d’une réalité invisible au regard humain, s’accompagne d’une confrontation à notre réalité. Depuis 1961, les tableaux-miroirs de Pistoletto interrogent cette place du spectateur dans la réalité de l’instant. Ces œuvres présentent l’impression d’une photographie sur un miroir, invitant ainsi le visiteur à prendre part à l’œuvre et à interagir avec elle via son propre reflet.

Le souci du détail est aussi de mise. Claudio Parmiggiani présente, entre 1968 et 1971, la série Tavole zoogeografiche représentant plusieurs portraits de vaches dont le taches forment chaque continent du monde. Cette transformation des taches fait douter de la véracité de ces formes, à la fois si artificielles et si naturelles sur le pelage blanc et noir du ruminant. 

L’ART DU DÉPOUILLEMENT

Cette exposition montre l’extraordinaire richesse d’une période où les artistes italiens se sont appropriés le pouvoir narratif de la photographie, de la vidéo et du film. Ce mouvement reprend l’expression povera – pauvre en italien – que l’artiste polonais Jerzy Gortowski utilise pour qualifier son théâtre. Ce dernier limite ses dialogues et privilégie une scène sans décor. Dans ce prolongement, l’Arte povera se dépouille de toute cohérence. Cette cohérence que Germano Celant, le critique d’art italien, décide « de jeter aux orties » laissant place à un discours visuel neuf à contre-courant du pop-art américain si conventionnel et si visuel.

“Avec Giulio Paolini, la poétesse antique Saffo devient une simple photographie collée sur un panneau de plexiglas, en référence au succès fulgurant de la publicité dans les années 1960-1970.”

Giulio Paolini, Saffo, 1968.

Pour atteindre cette pauvreté volontaire, plus conceptuelle, les artistes entendent appliquer « la table rase ». Cette expression appuie l’envie des artistes de se couper de tout ce qui a été fait auparavant et de tout ce que leurs contemporains expérimentent. Le recours à la photographie, à la vidéo, des outils encore peu exploités par les artistes de l’époque, ou encore à des matières « pauvres » et brut comme la terre, montrent cette envie de rompre avec leur prédécesseurs.

Mais est-ce vraiment le cas ? L’exposition propose une nuance avec des œuvres qui s’inscrivent bien dans une continuité artistique. Giulio Paolini plonge dans les références antiques avec la poétesse grecque Saffo (1968). À travers le prisme de la pauvreté des artistes italiens, la Saffo, sculpture de marbre chez les Grecs devient une simple photographie collée sur un panneau de plexiglas, en référence au succès fulgurant de la publicité dans les années 1960-1970. Luigi Ontanio rappelle les peintures officielles des rois avec ses portraits de profil de Pinocchio ou de l’écrivain médiéval Dante. Pistoletto s’inspire, quant à lui, de l’œuvre de Man Ray, précurseur de la photographie d’art et de mode au début du XXème siècle. Difficile, donc pour les artistes de faire table rase du passé. L’exposition « Renverser ses yeux » se tient jusqu’au 29 janvier 2023 et sera présentée au printemps 2023 à la Triennale de Milan.

Claudio Parmiggiani présente la série Tavole zoogeografiche représentant plusieurs portraits de vaches dont le taches ~ Photo / Claudio Parmiggiani, Tavole zoogeografiche (Planches zoo géographiques), 1968-1971. Crédit photo : Céline Bonnelye.

La Perle

Exposition “Renverser ses yeux : autour de l’arte povera. 1960 – 1975”
Du 11 octobre au 29 janvier 2023
Jeu de Paume
1 place de la Concorde 75008 Paris
jeudepaume.org
Instagram : @jeudepaumeparis