Sammy Fabelman a 5 ans quand il découvre le cinéma. Alors que son père, ingénieur en informatique, lui explique le fonctionnement complexe d’une caméra ; sa mère, pianiste, lui promet d’assister à un rêve. C’est à cette séance d’un film, « The Greatest show on Earth » que tout commence. Âgé maintenant de 16 ans, Sammy n’a rien perdu de ce sentiment de rêve éveillé. Il désire être réalisateur, et s’il veut y arriver, il devra surmonter le divorce de ses parents, l’antisémitisme, le manque de soutien de son père, et tous les obstacles qui se dresseront sur son chemin.
JEUNESSE ET GENÈSE D’UN GÉNIE DU CINÉMA
À tous ceux qui ont déjà entrepris de se lancer dans une carrière ou un projet artistique, le film fera écho. Que ce soit dans les années 1960 ou bien aujourd’hui, le parcours du combattant que représente ce choix de vie n’a pas changé. On prend un plaisir fou à voir le maître de la science-fiction recréer ses courts métrages d’antan. Les effets spéciaux rudimentaires, les techniques de machineries artisanales, le maquillage et les costumes amateurs sont les mêmes qu’aujourd’hui – exception faite de l’achat de pellicule.
Cependant, ces moments de magie cinématographiques sont interrompus par un ventre mou sans réel enjeu narratif dans lequel on peine à ne pas regarder sa montre. À mi-chemin, on tombe dans une chronique familiale, qui semble certes essentielle pour Spielberg, mais qui parait superflue aux yeux du spectateur. On commence à être coutumier des films longs puisque les productions hollywoodiennes durent rarement moins de deux heures ; mais en l’occurrence, les 2 heures et 29 minutes de « The Fabelmans » donnent l’impression que certaines séquences ont été étirées sans raison.
On soulignera néanmoins la justesse du casting et la ressemblance entre les acteurs Paul Dano, Michelle Williams et les vrais parents de Spielberg, Léah et Arnold. Paul Dano, en particulier, nous prouve film après film qu’il est un immense acteur. Il campe un Burt Fabelman d’une douceur et d’une intelligence bouleversantes. Le jeune Gabriel LaBelle, qui joue Sammy, est extrêmement attachant et parvient à retranscrire la vulnérabilité et l’humour que l’on connaît à Spielberg. Le film s’achève d’ailleurs sur un caméo légendaire de David Lynch, monstre sacré du cinéma américain, dans le rôle du réalisateur John Ford. Une légende pour jouer une légende.
La mise en scène est, quant à elle, étincelante de virtuosité. La caméra nous montre exactement ce que nous avons besoin de voir, plutôt que ce que nous avons envie de voir. Une surprise ? Non, plutôt une habitude de la part du lauréat de meilleur réalisateur à l’édition 2023 des Golden Globes.
LA FAMILLE, L’ÉTERNELLE THÉMATIQUE
The Fabelmans est aussi une lettre d’amour à ses parents et à sa famille étrange et chaotique. Mais, soyons honnêtes, quelle famille ne l’est pas ? Ce 36ème film plonge dans l’histoire d’une famille formée par un père scientifique et une mère artiste, qui explose quand la mère tombe amoureuse du meilleur ami de son mari. La quasi-totalité des faits relatés sont vrais et celui-ci en fait partie. Seuls les noms des personnages diffèrent. Léah, la mère de Steven Spielberg, a en effet, eu une liaison secrète avec le meilleur ami de son mari avant de se marier avec cet homme. Une étape qui fut autant un traumatisme qu’une source d’inspiration pour le réalisateur.
La relation qu’il avait avec sa mère (disparue en 2017) et le ressentiment qu’il éprouvait envers son père (décédé en 2020), ont été le fil rouge de sa carrière. Comme il le dit dans le documentaire « Spielberg » (2017), le metteur en scène a passé 15 ans brouillé avec son père, lui reprochant d’avoir détruit la famille. C’était avant de savoir que celui-ci avait endossé la responsabilité du divorce pour protéger son épouse.
“THE FABELMANS EST AUSSI UNE LETTRE D’AMOUR À SES PARENTS, À SA FAMILLE ÉTRANGE ET CHAOTIQUE.”
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, depuis le début de sa carrière Steven Spielberg n’a cessé d’explorer le thème de la famille, de la parentalité, et surtout de l’enfance. Au cours de sa longue filmographie, le cinéaste a laissé un peu de lui-même dans chacun de ses films. 50 ans de filigrane et d’indices pour en arriver au point culminant qu’est « The Fabelmans. »
Entre autres exemples, « E.T l’extraterrestre » est en fait l’histoire d’un jeune garçon et d’une famille qui ne parvient pas à se remettre du divorce des parents et du départ du père. « Arrête-moi si tu peux » raconte les magouilles d’un jeune homme qui fuit la réalité de la vie et dont les parents se séparent après une liaison entre la mère et le meilleur ami du père. « A.I – Artifical Intelligence » a pour personnage principal un enfant robot dont la seule raison d’être est l’amour de sa mère.
Les parents de Spielberg sont donc pour lui une éternelle source d’inspiration. La meilleure illustration de cet assemblage se cache dans « Rencontre du Troisième Type »mais totalement inconsciente selon Spielberg. En effet, lorsque les extra-terrestres arrivent sur Terre, les humains communiquent avec eux grâce à des ordinateurs qui produisent de la musique. Venant d’un fils de pianiste et d’informaticien, c’est assez cocasse vous ne trouvez pas ?
On peut alors préférer le Spielberg « science-fiction », mais il est indéniable que l’éternel enfant d’Hollywood mérite son statut de légende du cinéma. « The Fabelmans » en est la claire illustration : le cinéaste se livre avec toute la sincérité et la magie dont il dispose et nous emmène avec lui jusqu’aux portes de ses rêves, devenus réalité. Une introspection émouvante qui marque un point décisif dans sa carrière, mais n’annonce en aucun cas – et Dieu merci – la fin de celle-ci.