Il y a quelques mois, un implacable documentaire levait le voile sur un excès contemporain : la surconsommation de vêtements. Diffusé sur Arte « Fast Fashion – les dessous de la mode à bas prix » chiffrait l’addiction au shopping à 56 millions de tonnes de vêtements vendues chaque année dans le monde.
Un constat vertigineux dont l’espace Monte-Cristo s’est emparé à plus large échelle. Postulat de départ : « Nous croulons sous les déchets. » Des monceaux d’emballages, de pailles, de textiles, de jouets qui nous restent sur les bras à ne plus savoir qu’en faire. 25 artistes, membres de l’exposition « Recyclage – Surcyclage » y ont pourtant trouvé un terreau d’inspiration débordant… des bennes à l’ère poubellocène.
LE BEAU POUR INCITER À RECYCLER
Anita Molinero, Mathieu Mercier, Agnès Varda, Moffat Takadiwa, Bordallo II, Daniel Friman… autant de noms qui ont vu dans le surcyclage une manière d’interroger notre manière de consommer, d’utiliser, de polluer. Comme le recyclage, le surcyclage, en anglais upcycling – consiste en la capacité à récupérer des produits usagés pour les transformer en d’autres produits d’une valeur supérieure. Comprenez dans ce cas précis, la grande aura de l’œuvre d’art.
Si en 2018, 66 % des déchets ont été recyclés en France, la tendance récup’ et bricolage ne fait pas encore l’unanimité dans les foyers. A ce jour, peu d’entre nous se lancent corps et âmes dans l’aventure du dentifrice artisanal et des vêtements en friperies. L’art, en revanche, a peut-être plus de chances. L’œuvre n’offrant que ce qu’elle est – son esthétique, son message, son humour parfois – elle propose peut-être une meilleure sensibilisation à la cause du recyclage : non par l’utile, ni par la vertu du geste mais par le beau. Le packaging si vous préférez. C’est le cas d’Isole, sculpture de Francesca Pasquali dont le trompe-l’oeil fait de pailles et de plexiglas poli-miroir offre un ciel nuageux dans lequel le visiteur se reflète. Troublant.
LE RIDICULE NE TRIE PAS
A l’origine de « Recyclage – Surcyclage », le détournement des déchets de leur « usage » premier. Pas question de les jeter mais bien de court-circuiter le cycle production / consommation. Avec quelles armes ? Le ridicule et la dérision. Le malaise dans notre manière de consommer vaut à Daniel Friman d’empiler les déchets sur un corps en résine dont on n’aperçoit même plus le visage. Dis moi combien tu consommes, je te dirai qui tu es…
… Quand bien même tu fustigerais l’art contemporain. C’est dans la sculpture dégoulinante et monstrueuse d’Anita Molinero – créée à partir de poubelles brûlées – qu’on entrevoit les limites de la récupération artistique. Même avec tout l’art du monde, une poubelle reste une poubelle. Notre consommation de vêtements est telle qu’on en ferait des maisons. Depuis 2017, l’artiste Julia Maria Lòpez Mesa collecte des tissus imprégnés de l’histoire de leurs propriétaires : refuge de vêtements, In Tissu trône au cœur de la cour intérieure de l’exposition.
Point de « How Dare you ? » lancé telle Greta Thunberg à la face des visiteurs. « Recyclage – Surcyclage », en somme, ne pointe pas du doigt. Elle interroge, détourne, moque nos pratiques pour nous inviter en quatre sections et une carte blanche – Anita Molinero jouant avec le feu – à cogiter sans culpabiliser.
Pied-à-terre parisien de la Fondation Villa Datris située à l’Isle-sur-la-Sorgue, l’espace Monte-Cristo ouvre ses portes en 2014. Du Sud au Nord, ce loft lumineux du XXème arrondissement de Paris transpose les différentes pièces de la collection de la Fondation sous forme d’expositions, de workshops, de conférences et d’ateliers.
Perla Msika
