« L’art est la gloire de la vie » assure le personnage du Glenn Gould dans la nouvelle pièce du théâtre le Petit Montparnasse. Hymne à l’œuvre du pianiste canadien et à l’amour filial – parfois dévorant – « Glenn, naissance d’un prodige » réunit excellent jeu d’acteurs, humour, intensité tragique et mise en scène dynamique. Le tout mis ensemble pour camper l’histoire vraie d’un destin tourmenté.
RENCONTRE AVEC GLENN GOULD
La pièce retrace la vie de Glenn Gould (1932-1982), pianiste et compositeur canadien. Connu pour ses interprétations d’œuvres baroques au piano, mais surtout pour sa manière atypique de jouer, Glenn Gould était notamment atteint d’un syndrome Asperger, un trouble autistique qui affecte essentiellement la manière dont les personnes communiquent et interagissent avec les autres.
La personnalité complexe du musicien hypocondriaque, naïf, introverti, prisonnier de ses démons, mais tout à fait libre dans ses choix artistiques, est magnifiquement interprétée par Thomas Gendronneau. Le texte, écrit par Ivan Calbérac, mêle poésie, humour et désarroi. Les références anachroniques à l’actualité sont très efficaces. Des répliques parfois étonnantes et prononcées avec légèreté font mouche auprès du public, tout en soulevant des interrogations. Dans le texte, c’est l’humour qui renforce le drame. Le spectateur assiste, sans s’en rendre compte, au récit d’un destin tourmenté dont les accents tragiques le guettent. Résultat ? Les scènes finales, très intenses, frappent de plein fouet.
“GLENN GOULD EST FRAGILE, INADAPTÉ AU SHOW-BUSINESS, MAIS AUSSI TRÈS INFLUENCÉ PAR UNE MÈRE ENVAHISSANTE ET EXIGEANTE.”
À gauche : Thomas Gendronneau dans le rôle de Glenn et Josiane Stoleru dans celui de sa mère. Crédit photo : Fabienne Rappeneau.
ENTRE MÈRE ET FILS
La pièce met en scène un Glenn Gould fragile et inadapté à l’univers du show-business, mais aussi – et peut-être surtout – très influencé par une mère envahissante – interprétée avec talent par Josiane Stoléru. Celle-ci le pousse, avec exigence, à vivre son rêve à elle. S’il est évident qu’il lui doit sa carrière et son succès, la pièce suggère que la mère a aussi une responsabilité dans les tourments qui dévoraient Glenn, le conduisant vers l’isolement voire à une disparition prématurée. Le public est face à une femme qui contrôle tous les aspects de la vie de son fils prodige, suscitant à la fois tendresse et grande réticence. Même la relation de Glenn avec la jeune et bienveillante Jessie, jouée par Lison Pennec, est sacrifiée. Le personnage est partagé : il ne peut pas vivre sans sa mère, Florence Gould, qui a façonné la vie de son fils pour qu’il n’y ait de place que pour elle. Impossible de ne pas faire le rapprochement avec le récit de La Promesse de l’aube, du romancier Romain Gary (1914 -1980) : il y décrit, lui aussi, tant les effets positifs que néfastes des ambitions démesurées que sa mère portait pour lui.
Une heure et demi de représentation, la question se pose alors : quel rôle notre entourage joue-t-il dans notre chemin de vie ? Notre voie vers le succès ? Nos échecs ? Glenn Gould n’aurait probablement pas été un musicien célèbre sans l’implication de sa mère. Mais aurait-il été plus heureux ? Plus qu’un récit de vie, c’est cet autre regard, enrichissant et inattendu du parcours de l’artiste qui est présenté. La pièce donne à voir l’homme derrière l’artiste, et les proches derrière les névroses.
L’œuvre est un spectacle vivant, servi par une mise en scène efficace. Le spectateur navigue incessamment entre différents lieux et époques. Ce rythme soutenu souligne aussi les tourments de Glenn. Le décor sobre et élégant, ainsi que les habiles jeux de lumières, laissent place à l’intimité de la famille Gould et à l’imagination du spectateur. La musique, enfin, joue un rôle important : les interprétations de Glenn sont des respirations sublimes au milieu d’une vie personnelle tempétueuse. Tous les éléments d’une partition de qualité sont ainsi réunis autour du spectacle.