Se sentir à sa place, éprouver le sentiment d’être là où l’on rêvait d’être, pile à l’endroit que l’on souhaite. Cette sensation est sûrement la quête de toute une vie. Et lorsqu’au terme d’une représentation théâtrale, les sourires d’enfants des comédiennes illuminent la scène devant nos yeux ébahis, une certitude nous traverse : elles sont à leur place.
En ce qui me concerne, je viens de trouver la mienne pour l’heure à venir. Une place au soleil, sur la terrasse d’un café de Belleville. Les gens terminent leur déjeuner, les oiseaux chantent et les serveurs courent… Tandis que j’attends patiemment l’arrivée de Clara Symchowicz, comédienne à l’affiche de « Ma vie en aparté ». Une pièce écrite par Gil Galiot, jouée actuellement au Studio Hébertot. La voilà qui me rejoint, son sourire ne l’a pas lâchée. Clara s’installe. Durant une heure de discussion, nous avons décelé, ensemble, les étapes du chemin l’ayant mené jusqu’à cette place qu’elle semble tant apprécier : celle de comédienne.
Comment es-tu devenue actrice ?
Je crois que j’ai toujours eu un attrait pour le spectacle. Déjà, petite, je forçais mes parents à regarder mes numéros de danse où les scènes que j’imaginais. A l’époque, j’habitais en Israël, à l’école française de Tel-Aviv. Pendant un cours, j’avais neuf ans, une directrice de casting est entrée dans notre classe. Elle nous annonçait qu’elle cherchait des enfants qui parlaient français ou hébreu pour le film « Comme ton père » ( ndlr, réalisé par Marco Carmel, sorti en 2007 ). J’ai tout de suite levé la main. Je n’ai pas eu le casting, mais j’ai adoré cette expérience. Le fait de jouer, d’apprendre le texte… Alors j’ai dit à mes parents que je voulais en refaire. A partir de là, lors de nos vacances d’été en France, mon père me trouvait quelques auditions. Et ce, jusqu’à ce qu’une directrice de casting finisse par me repérer, puis me diriger vers un agent. Ensuite, j’ai commencé les tournages.
Malgré cela, tu as opté pour des études de droit. Tu n’as pas eu peur de laisser passer ta chance dans l’acting ?
Au départ, pas vraiment. Je faisais toujours quelques tournages en parallèle. Mais j’étais naïve, je pensais que quelqu’un, un agent ou un réalisateur allait me repérer. Je me laissais porter, un peu par manque de maturité, mais aussi par peur et par déni. Mais à la fin de mon Master, mes parents m’ont un peu ramenée à la réalité. Si je voulais devenir actrice ou comédienne, c’était maintenant ! À l’époque, je venais de m’inscrire au concours du Barreau de Paris. J’avais dix jours pour me rétracter. Si je m’engageais, ils avaient raison, c’était terminé pour espérer faire une carrière dans le milieu du cinéma ou du théâtre. Je crois que ça a été une des décisions les plus difficiles de ma vie. J’avais dix jours pour retirer ma candidature. Le dixième jour, j’ai envoyé ma lettre de rétractation.
Dirais-tu que c’est à ce moment-là que tu as eu ton « déclic » ?
Oui et non. Évidemment, là j’ai percuté. J’ai compris que si je ne me donnais pas à fond, je n’allais jamais devenir comédienne. Dans la foulée, j’ai intégré Les Enfants terribles (ndlr, école de théâtre parisienne créée en 1994), puis j’ai enchaîné avec le Conservatoire du 9e arrondissement, où j’ai été admise. Mais il y avait encore cette sécurité scolaire. Le vrai déclic est arrivé après le premier confinement, lorsque j’ai dû commencer à payer un loyer, subvenir à mes besoins toute seule. Je n’avais pas d’autre choix que d’y aller à fond afin de pouvoir vivre de ma passion et ne pas rester serveuse toute ma vie. Alors j’ai commencé à postuler partout. Des projets de figuration, de photos, de courts-métrages, de clips… J’étais sur tous les fronts. Et à force de postuler, je me suis fait un petit réseau et j’ai obtenu mon statut d’intermittente.
C’est dans cette effusion de projets que la pièce « Ma vie en aparté » est venue à toi ?
Exactement ! J’étais à Barcelone, en train de tourner un clip pour le groupe Kaast. C’était une journée incroyable. Déjà, je trouve cinq euros par terre, et juste après, je vois le nom de Gil Galiot qui s’affiche sur mon téléphone. C’était un de mes professeurs aux Enfants Terribles, mais on ne s’était jamais reparlé depuis. Je réponds, et il me dit qu’il a un rôle pour moi, qu’il l’a écrit en pensant à moi. C’était exceptionnel comme moment, je pleurais au téléphone. Et quand je suis revenue de Barcelone, on n’a même pas fait de casting, on a commencé les répétitions.
“GIL CHERCHAIT UNE COMÉDIENNE RENTRE DEDANS, AVEC UNE TOUCHE D’INSOLENCE… IL AVAIT CE SOUVENIR DE MOI.“
Clara Symchowicz
Est-ce que tu l’as sentie comme un vrai cap dans ta carrière ?
Oui, surtout dans le théâtre ! Je n’avais joué que dans deux pièces, où les metteurs en scène étaient des camarades de classe. C’étaient des projets très bien menés, mais cela restait de jeunes créations. Là, on parle de Gil Galiot, qui a actuellement quatre pièces se jouant à Paris. Et puis, on va aller jouer à Avignon, plusieurs dates au studio Hébertot, je joue avec Bérengère Dautun… C’est juste incroyable.
Comment as-tu construit ton rôle ?
Il a fallu énormément de travail. Les répétitions ont duré de décembre jusqu’à la première, le 7 mars. Mais pour le rôle en lui-même, Gil était venu me chercher en sachant que je correspondais à ce qu’il recherchait. Quelqu’un d’un peu peps, un peu rock… Il voulait une comédienne rentre dedans, avec une touche d’insolence, et il avait ce souvenir de moi à l’école. Donc pour le rôle de la jeune comédienne, je n’ai pas eu à construire réellement ou composer le personnage de fond en comble.
Le plus difficile, ça a été de ne pas rester sur le même ton. De maîtriser cette bascule du personnage tout au long de la pièce. On a beaucoup tâtonné car elle ne pouvait pas être profondément méchante. On a tenté plein de choses, on a mis du temps… Il fallait trouver cet espèce de sadisme dans la douceur, mais je crois que nous y sommes parvenus.
Qu’est-ce que tu as le plus apprécié dans tout ce travail ?
J’ai adoré construire les rôles de composition. Jouer la meilleure amie, la mère, traverser les époques… Là je me suis éclaté. On a créé les rôles ensemble, avec Gil et Bérengère.
Mais sinon, c’est surtout l’expérience humaine. Notamment me lier d’amitié avec une femme plus âgée, une comédienne émérite. Ce qui est drôle, c’est cette mise en abyme durant la conversation. Souvent on discute, et on se rend compte que des répliques de la pièce arrivent naturellement. Bérengère est tellement touchante, elle vit pour le théâtre. D’ailleurs, je m’attendais à prendre tout d’elle, mais en fin de compte, c’était vraiment un échange. Au début j’étais tétanisée, je la vouvoie toujours d’ailleurs, mais on a créé un vrai lien. Et aujourd’hui, je vais boire des thés chez elle. C’est fou !
Quels sont tes projets pour la suite ?
Ça, c’est la grande question. Il y a toujours ce stress du « et après ? » Pour le moment, je reste bien concentrée sur la pièce. C’est tellement prenant. Aucune représentation ne se ressemble, tu traverses toujours quelque chose de singulier. Le théâtre ça reste l’essence de ce métier quand même, alors je profite !
Sinon, j’ai beaucoup de projets en cours. Le plus important, c’est de ne plus attendre. Je sais que lorsque je suis active, les choses arrivent. Le principal, c’est de créer une dynamique de travail, car je crains toujours le lendemain.
Est-ce que tu as un rêve ?
Oui, pleins ! Comédienne, c’est le métier des insatisfaits, des grands enfants, alors des rêves je n’ai que ça. Mais pour n’en retenir qu’un seul, je dirais que je rêverais de jouer dans un film d’époque. Si quelqu’un m’entend d’ailleurs. Je veux mettre cette robe, je veux ce corset et les cheveux à la Marie-Antoinette !
Quelle est ta Perle à toi ?
C’est compliqué, il y en a beaucoup. Mais je vais te dire Le Velvet Moon, à Montreuil. C’est un bar associatif tenu par ma compagne. C’est exceptionnel comme endroit, il y a de tout ! Des expositions de photos, un salon de tatouage, un ciné-club… Et tous les soirs, c’est un peu la folie là-bas.