Symptomatiques d’un marché de l’art globalisé, les foires imposent leur cadence et leurs stratégies commerciales. Standardisation, marketing, saturation du regard, elles flattent nos réflexes consuméristes plus que notre curiosité. Et si nous décidions de ralentir le rythme ?
Comme en chaque fin de mois d’octobre, Paris célèbre sa semaine de l’art contemporain. Art Basel, Asia Now, AKAA, Design Miami/Paris, Paris Internationale, Menart Fair, Moderne Art Fair, Ceramic Art Fair, etc. Les invitations pleuvent et l’on en trouve pour tous les goûts, pour toutes les scènes artistiques et pour tous les médiums.
Pourtant, cette année, je passe mon tour. Boudeur, mais pas bégueule, je vous dis pourquoi et surtout comment lutter contre la « Fair Fatigue » automnale.
Partout pareil
L’art des foires, c’est un peu comme Netflix : trop de titres et trop de temps perdu à choisir, pour finalement retomber sur les mêmes séries.
Rappelons-le, une foire n’est pas une exposition, c’est un rendez-vous commercial. Art Basel est même devenue une véritable franchise. Née en 1970 à Bâle (d’où son nom), son modèle se décline aujourd’hui à Miami (depuis 2002), Hong Kong (2013) et Paris, où elle remplace la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) depuis deux ans.
Outre le nom de la foire auquel est ajouté celui de la ville où elle se tient, ces variations locales diffèrent peu. Mêmes organisateurs et mêmes stratégies de vente. Les mêmes galeries locomotives aussi (Gagosian, Hauser & Wirth, David Zwirner, Thaddaeus Ropac, Templon, Perrotin), avec parfois les mêmes stands d’un bout à l’autre du globe.
Une sculpture sur socle d’Ugo Rondinone, un miroir rond d’Anish Kapoor, une toile de Lee Ufan, pour la galerie Mennour les foires se suivent et se ressemblent. De gauche à droite : vues des stands à Art Monte-Carlo, Art Basel et Frieze Séoul cette année 2025. Source : mennour.com
Certains marchands excellent d’ailleurs dans l’art consommé du showroom uniformisé. Le galeriste Kamel Mennour est de ceux-là, qui à chaque occasion présente à peu près tous les artistes de son catalogue, parmi lesquels Camille Henrot, Tadashi Kawamata, Lee Ufan et Ugo Rondinone, quatre des immanquables 2025, dont les œuvres ont été vues et revues à Paris en avril (Art Paris), à Bâle en juin (Art Basel), à Monte-Carlo en juillet (Art Monte-Carlo) ou encore à Séoul en septembre (Frieze).
Trop de marketing
Hormis de rares exceptions, ces stands restent par ailleurs souvent très sages, trop sages. Et quand l’inattendu est programmé, c’est qu’il y a un problème.
C’est le cas à Art Basel Paris. Créé l’année dernière, son programme « Oh La La ! » proposait, pour ses derniers jours, un raccrochage d’œuvres dites « singulières », afin d’offrir au spectateur de nouvelles perspectives autour des thèmes ô combien transgressifs de l’amour, de l’érotisme, du surréalisme ou encore de l’identité Queer.
Cette année, la section est confiée à Loïc Prigent qui choisit pour thème « À la mode ». Que les arbitres du bon goût se réjouissent, une visite guidée de la foire sera même assurée par le journaliste en personne le vendredi 24 octobre. Pour la modique somme de 172€, réservable sur airbnb !
Asia Now, de son côté, s’approprie la notion de tiers-lieu en inaugurant sa section « Third Place ». L’objectif ? « Embrasser l’hybridité, la collaboration entre les galeries et le potentiel génératif qui se présente lorsque les perspectives se croisent » (sic). Comprenne qui pourra, ou comment vider un concept de son sens pour en faire un outil marketing.
De mauvaises conditions de visite
Ce ne sont pas seulement leurs discours et notre esprit qui s’usent, le corps aussi. Les allées interminables, le bruit de la foule, la trop grande quantité d’œuvres, tout cela fatigue et sature. À la fin, on ne voit plus rien.
Pourtant, les exposants ne manquent pas d’idées pour relancer notre attention. Les miroirs, les néons et autres sculptures mobiles fleurissent au bord des allées pour nous attirer, comme des papillons, malheureusement désorientés par tout ce clinquant.
Quant à la qualité des rencontres avec les professionnels, ils se réduisent au mieux à un sourire complice et un échange poli, au pire à de l’indifférence ou des plaintes sur les mauvaises ventes. Difficile de leur en vouloir, ils ne sont pas là pour converser, mais pour rembourser leur stand et faire tourner leur galerie.
Parlant d’argent, autant vous le dire, les foires coûtent cher. Comptez 15€ l’entrée pour Asia Now, 20€ pour Ceramic Art Fair, 38€ pour Design Miami/Paris et jusqu’à 45€ pour Art Basel Paris, dont le vernissage se monnaye même à 110€ (coupe de champagne comprise, bien entendu). À titre de comparaison, le tarif plein des expositions du Grand Palais ne dépasse pas 17€.
Quelques alternatives et conseils
Que ce soit par curiosité, par intérêt, par occasion ou par peur de manquer quelque chose, si toutefois vous craquez, voici quelques conseils.
Tout d’abord, préférez les formats resserrés et véritablement « curatés », comme OFFscreen, consacrée à l’image fixe et en mouvement, qui se tiendra cette année dans la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière. Vous pourrez prendre le temps d’y découvrir plus tranquillement le travail de 28 artistes, cela gratuitement.
Deuxième recommandation, pour les plus téméraires qui se rendraient quand même au grand raout d’Art Basel, privilégiez la section consacrée aux jeunes galeries, où se trouvent encore quelques artistes émergents à découvrir. Et si vous vous sentez quelque peu perdus, ne craignez jamais d’aller vers ce que vous n’aimez pas. Au moins serez-vous surpris et peut-être même changerez-vous d’avis !
Surtout, souvenez-vous que le meilleur endroit pour faire des découvertes ne sont pas les foires, mais les galeries, ouvertes toute l’année gratuitement. Et si l’entrée vous intimide, profitez du programme de visites guidées gratuites « Starting Sunday », organisé par le Comité Professionnel des Galeries d’Art le dimanche 19 et le samedi 25 octobre.
Alors, plutôt que de piétiner dans le brouhaha d’un hall bondé, pourquoi ne pas choisir de prendre son temps ? Préférer les vraies rencontres à la course. Nous n’avons pas besoin de voir plus, nous avons envie de voir mieux.
Thibault Bissirier
La Perle