La Fondation Cartier pour l’art contemporain s’apprête à quitter le boulevard Raspail et son iconique bâtiment signé Jean Nouvel. Pour sa nouvelle adresse inaugurée le 25 octobre prochain, elle choisit le même architecte, mais un quartier bien plus attractif : la très centrale et très touristique place du Palais-Royal.

Sur la façade rénovée de l’ancien Louvre des Antiquaires, la nouvelle enseigne reste discrète. Nul besoin d’en faire trop, l’emplacement et le voisinage suffiront à attirer les visiteurs : d’un côté, le musée du Louvre, imposant et incontournable ; de l’autre, plus solennel, le portique à colonnes du Conseil d’État ; non loin, la Comédie Française, la place Colette et le jardin du Palais Royal.
C’est ici, au cœur du 1er arrondissement de la capitale, que la Fondation Cartier pour l’art contemporain ouvrira son nouvel espace le 25 octobre 2025, quittant définitivement le 14ème arrondissement, quartier bien moins emblématique de l’art à Paris, où elle siégeait pourtant depuis trente ans.
Se rapprocher de ses visiteurs
Créée en 1984 sous l’impulsion d’Alain Dominique Perrin, président de la maison éponyme et lui-même collectionneur d’art contemporain, la Fondation Cartier s’était d’abord installée au Domaine du Montcel, à Jouy-en-Josas. Ce n’est qu’en 1994 qu’elle devient parisienne, en posant ses cartons, ses cimaises et ses équipes au 261 boulevard Raspail.
À cette époque, l’Institution chargea Jean Nouvel (à qui l’on doit notamment l’Institut du Monde Arabe ou encore le Louvre Abu Dabi) d’imaginer un bâtiment résolument ancré dans son époque, associant acier et verre, et entouré d’un jardin paysager (conçu par Lothar Baumgarten). Un modèle que l’architecte reprendra quelques années plus tard pour le musée du Quai Branly.
Malgré sa qualité de vitrine iconique, le site souffre de son manque d’espace. Certes la Fondation peut compter sur 1200 m² de surface d’exposition, mais finalement peu de murs, des circulations difficiles et des salles exiguës en sous-sol. Surtout, elle accuse une situation trop éloignée des touristes et des visiteurs. Avec son implantation dans le 1er arrondissement, non seulement elle multiplie par cinq sa superficie, mais elle gagne aussi en visibilité et en fréquentation.
Un bâtiment plusieurs fois remanié
On ne change pas une équipe qui gagne. Trente ans plus tard, la Fondation Cartier choisit ainsi de faire appel au même architecte. Cette fois, non pas pour imaginer un nouveau vaisseau de la modernité, mais pour rénover et réaménager complètement l’intérieur du Louvre des Antiquaires, un vaste bâtiment de style Second Empire, qui fut tour à tour un hôtel de luxe (l’Hôtel du Louvre, aujourd’hui installé juste en face, a occupé le bâtiment dès sa création en 1855 et jusqu’en 1887), des Grands Magasins (jusqu’en 1974) et enfin un consortium d’antiquaires (à partir de 1978).
C’est à l’époque le plus grand centre d’antiquaires couvert de Paris, avec plus de 200 enseignes, mais le lieu décline rapidement, concurrencé par l’Hôtel Drouot et le marché de Saint-Ouen. En 2015, il ne reste plus que neuf marchands. Un projet de centre commercial consacré à la mode est un temps annoncé, reporté, puis abandonné. En 2018, la Fondation Cartier propose de s’y installer et signe un accord. La dernière occupante, une bijoutière, quitte son local en 2019 et le chantier de réhabilitation débute en avril 2020.
la patte de Jean Nouvel
Vu de l’extérieur, rien de flagrant. La façade haussmannienne est conservée telle quelle. Seuls des auvents le long de la rue Saint-Honoré et des baies vitrées de plain-pied tout autour du rez-de-chaussée marquent l’intervention de Jean Nouvel. À l’image du cube de verre du boulevard Raspail, le projet établit par là une continuité avec la rue, en ouvrant les espaces d’exposition à la curiosité des passants.
Sous les arcades de la rue de Rivoli et de la place du Palais-Royal les baies vitrées de plain-pied offrent aux passants un aperçu des espaces intérieurs, baignés de la lumière du jour. Côté rue Saint-Honoré, l’intervention de Jean Nouvel est plus visible, avec l’ajout de grands auvents vitrés pour protéger des intempéries. Vues d’extérieur © Jean Nouvel / ADAGP, Paris, 2025. Photos © Martin Argyroglo
C’est à l’intérieur que tout se joue. D’abord, par l’ouverture de grands espaces traversants, offrant une perspective ininterrompue depuis le fond du bâtiment jusqu’à la place du Palais-Royal. Ensuite, par l’installation de cinq plateformes mobiles, dont l’ajustabilité à différents niveaux permet de remodeler les volumes, à la manière d’un plateau amovible de théâtre. Des passerelles multiplient encore les points de vue, tandis que la verticalité exceptionnelle du lieu (jusqu’à onze mètres de hauteur) permet l’installation d’œuvres monumentales, habituellement réservées à l’extérieur.
Outre ces innovations architecturales, les locaux bénéficient d’une modernisation technique de grande ampleur. Ventilation, climatisation et accessibilité ont été repensées afin de garantir une expérience de visite optimale, mais aussi de préserver les œuvres les plus fragiles. Au total, ce sont pas moins de 8500 m² qui sont rendus accessibles au public, dont 6500 m² d’exposition et 1200 m² de plateformes modulables. Un auditorium de 120 places, un espace pédagogique, ainsi qu’une librairie et un restaurant complètent l’ensemble.
De espaces traversants, des plateaux amovibles et des hauteurs de salles pouvant atteindre onze mètres, tout se joue à l’intérieur, dans un mélange élégant de pierre, de verre et d’acier. Vues d’intérieur © Jean Nouvel / ADAGP, Paris, 2025. Photo © Martin Argyroglo
Plus qu’une rénovation, la vision de Jean Nouvel affirme une conviction : l’architecture d’un centre d’art doit avant tout servir la création – en offrant aux artistes un terrain d’expérimentation sans limites – et inviter le public à franchir les murs de l’institution pour en arpenter librement – et sans se lasser – tous les espaces.
Un pari sur le patrimoine et un pari pour l’avenir
En s’installant à cet emplacement, la Fondation Cartier s’inscrit dans un mouvement plus large de rénovation de l’hypercentre parisien et de réimplantation d’une certaine offre artistique. De la Concorde avec l’Hôtel de la Marine rouvert en 2021, à la Bourse de Commerce rénovée par Tadao Ando pour accueillir la Collection Pinault, jusqu’au Centre Pompidou aujourd’hui fermé pour travaux, un nouvel axe se dessine, et elle occupe désormais le centre.
Se redessine, plutôt. Car plus qu’un bouleversement, il s’agit d’un retour. En effet, à la fin du XIXème siècle, les abords de l’Opéra Garnier et du Louvre formaient déjà l’un des premiers quartiers de galeries, avant leur migration vers Matignon puis Saint-Germain au début du XXème siècle. Anticipant le retour de balancier, certaines galeries contemporaines ont déjà pris le parti de parier sur le quartier, à l’instar de The Pill, qui ouvrait l’année dernière sa première enseigne française place de Valois.
Prenant le contre-pied du neuf et du geste architectural fort, dont la Fondation Vuitton par Franck Gehry est le dernier grand exemple (2012), cette dynamique mise au contraire sur le prestige du patrimoine et le charme historique de la capitale, dopé, il va sans dire, par les récents Jeux Olympiques.
L’espace de la Fondation Cartier, ce n’est pas uniquement son nouveau bâtiment, mais le quartier même du Palais-Royal.
Jean Nouvel, architecte
Pour l’heure, on ne sait rien de l’exposition inaugurale, sinon qu’elle présentera près de 600 œuvres (toutes issues de la collection de la Fondation) de plus de 100 artistes du monde entier (parmi lesquels James Turrell, David Lynch, Annette Messager ou encore Chéri Samba) et qu’elle s’intitulera Exposition Générale, une expression empruntée aux expositions d’objets et de vêtements organisées autrefois aux Grands Magasins du Louvre.
Avec un investissement de plus de 230 millions d’euros, partagé entre du mécénat, des partenariats avec des entreprises de luxe et les ressources propres de la Fondation, gageons que ce nouveau site et son nouveau programme rencontreront leur public, et surtout qu’ils remporteront sa ferveur.
Thibault Bissirier
La Perle
Exposition Générale
Du 25 octobre au 23 août 2025
Fondation Cartier pour l’art contemporain
2, place du Palais-Royal – 75001 Paris