L’artiste expose du 20 février au 1er mars à la galerie du Crous de Paris. L’occasion d’interroger sa pratique faite de peau de poisson et de cheveux. Des matières, a priori rebutantes, qu’elle détourne avec subtilité.

Lola Loup est un esprit scientifique. Notre conversation avec elle est fixée dans un bar du quartier Arts et Métiers. A deux pas de là, un musée du même nom. Où l’ingéniosité est saluée au rang d’art. Cette jeune artiste et designer l’est aussi, ingénieuse. Elle détourne des matériaux, jugés rebutants comme les cheveux ou les peaux de poissons, pour en faire des oeuvres. Nous nous installons avec elle parmi l’effervescence des habitués du samedi soir de décembre, malgré un froid piquant.
Diplômée de l’Ecole Duperré, Lola Loup vient d’achever une exposition collective « Des corps muables » à la galerie du Crous de Paris. Des objets étranges créés aux côtés de Popline Fichot et Jeanne Rochedieu-Neboit. Sa pratique atypique interroge. Comment choisit-elle ses matériaux ? D’où vient cette volonté de travailler avec ces matières rebutantes ? Entretien.
D’ou vient cette fascination pour les peaux de poissons et les cheveux ?
Lola Loup : J’aime travailler avec des matériaux rejetés, des choses qu’on oublie, qu’on jette, mais qui portent encore une histoire. Les cheveux et la peau de poisson sont des résidus de corps vivants, humains ou animaux. Ils sont à la fois organiques et porteurs d’histoires : ADN, vieillissement, cicatrices… Cela me fascine de récupérer ces traces de vie.
Je récupère ces matériaux auprès de ce que j’appelle des mini-gisements, comme les poissonniers et les coiffeurs. Ces endroits ne sont pas originellement conçus pour ces ressources, mais ils en sont devenus des points de collecte. Je reçois aussi des cheveux en dons, et je m’intéresse à des gisements urbains plutôt qu’aux ressources naturelles directes. C’est un moyen de traiter la matière différemment et de questionner notre proximité avec ce qu’on considère comme un déchet.
C.G. : Tu exploites aussi les cicatrices sur les peaux de poissons. Pourquoi ?
L.L. : Mon travail découle de ma formation en design textile, il s’agit d’entrelacer des matières organiques. Je veux que les gens voient ces matériaux autrement, qu’ils prennent conscience de leur valeur, au-delà de la vision négative qu’on en a habituellement. Je ne parle pas de « revalorisation », mais de montrer la beauté cachée derrière ce qui est souvent jugé sale ou inutile.
Je me situe entre le design et l’art. Mais je n’ai pas pour ambition de créer des objets purement fonctionnels. J’aime déplacer la fonction de l’objet, lui donner une autre vie. Dans mon travail avec Popline Fichot et Jeanne Rochedieu-Neboit (ndlr, avec qui elle expose à la galerie du Crous) nous avons transformé des objets de jardinage en œuvres inutilisables mais symboliques, des “objets fictionnels”.
Mais ton travail s’inspire de peuples biens vivants, se situant à la pointe de la Russie. Ils utilisent le poisson de manière intégrale….
L.L. : L’idée de traiter le poisson dans son intégralité, comme le font certains peuples du Fleuve de l’Amour (Sibérie) m’a énormément influencée. Pour eux, rien ne se perd : la peau devient un matériau textile, les arêtes des outils, les intestins nourrissent les animaux. Cela contraste avec notre consommation partielle du poisson et la grande quantité de déchets générée. Cela m’a amenée à réfléchir sur l’usage des ressources naturelles, et sur la manière dont nous devrions mieux les traiter pour éviter qu’elles ne deviennent des déchets polluants.
Quel message ton exposition cherche-t-elle à transmettre ?
L.L. : Cette exposition interroge la place de l’humain. Nous avons beaucoup travaillé sur la serre, un objet symbolique, à la fois relié à l’agriculture industrielle et à une forme d’autosuffisance. Nous avons détourné ses fonctions pour créer un espace symbolique, un lieu qui parle de nos rapports avec la nature et le vivant. La rouille, la dégradation et l’oubli des matériaux rappellent le passage du temps, tout en évoquant l’urbanité et la manipulation des ressources.
Charles Gaucher
La Perle
Exposition « Des Corps muables »
Du 20 février au 1er mars 2025
Galerie du Crous de Paris
11 Rue des Beaux Arts, 75006 Paris
www.crous-paris.fr
Instagram : Lola Loup & Galerie du Crous de Paris