Au Théâtre Tristan Bernard, l’adaptation du roman de David Foenkinos nous plonge dans les tourments du garçon arrivé second au casting de la saga Harry Potter. Une pièce réussie mais un parti pris discutable : jouer de la comédie pour parler du drame de l’échec.
On ne pensait pas réentendre cette voix de si tôt. Tandis que les derniers retardataires s’installent, un murmure spectral se répand dans la salle : “Éteignez vos téléphones…” Derrière le brouillard d’une image hachée, dans le petit écran de la vieille télé années 2000, le visage de “tu-sais-qui” se dessine.Des clins d’œil du genre, on en retrouve tout au long de Numéro 2. L’adaptation théâtrale du roman de David Foenkinos se joue au Théâtre Tristan Bernard jusqu’au 2 mai prochain.
Le spectacle raconte l’histoire tragique de Martin Hill (Axel Auriant) le garçon qui a failli incarner Harry Potter au cinéma. À la fin des années 1990, après le succès planétaire des livres de J.K. Rowling, des centaines de candidats sont auditionnés pour trouver celui qui deviendra le célèbre sorcier au grand écran. Parvenu jusqu’en finale et petit favori de la production, les espoirs de Martin Hill s’envolent en un claquement de doigt lorsque le rôle est finalement attribué à…Danie Radcliffe.
Le choix de la comédie
C’est l’histoire d’un rendez-vous raté avec le destin, l’histoire d’une enfance manquée. Une fable sombre sur fond de motif familier : l’échec. Celui de Martin Hill, survenu bien trop tôt dans la vie d’un garçon ultra sensible, se transforme en véritable traumatisme.
Léonard Prain, qui a adapté le roman de David Foenkinos et Sophie Accard, la metteuse en scène, portent ce récit sur les planches sous forme de comédie. En cela, ils réussissent leur pari : une pièce drôle, conviviale et entraînante, parfaite pour une soirée en famille.
Mais si le spectacle nous emporte, il pêche toutefois à transmettre la profondeur du drame psychologique vécu par le personnage principal. C’est en fait le choix plein gaz du côté de la comédie qui laisse à désirer. Le spleen de Martin Hill est systématiquement édulcoré d’effets scéniques et d’interventions de personnages. L’échec prématuré du garçon creuse à ses pieds un gouffre abyssal dans lequel lui et sa jeunesse sont emportés. Mais la pièce ne nous laisse pas y plonger avec eux. C’est pourtant bien ce genre de vertige-là que l’on vient goûter au théâtre.
La frénésie des années 2000
“Sophie Accard voulait un décor de cinéma où tout est assez virevoltant”. Comme le dit si bien Axel Auriant, qui joue le rôle principal, la scène tient en effet d’un grenier un peu foutraque. Elle instigue dès le départ l’atmosphère farfelue de Harry Potter. Les allusions renvoyant à l’univers du sorcier sont un plongeon savoureux dans cette frénésie des années 2000, vécue ou fantasmée selon l’âge des spectateurs.
On découvre une panoplie d’anciens fauteuils capitonnés et de chouettes empaillées, un “nimbus 2000” ou encore de vieilles malles en cuire. Un cocktail scénique émulsif, dynamisé par les changements à vue des personnages, les jeux de lumière, de fumée et la diffusion d’archives authentiques.
Axel Auriant est taillé pour le rôle. Révélé dans la série Skam France sur Francetv Slash, sa découverte du livre de David Foenkinos se produit à une époque où il termine “numéro 2” à tous les castings. “Je suis tombé sur ce livre dans une gare et c’était comme une évidence. Bizarrement, lorsque je l’ai terminé, je me suis senti beaucoup mieux à l’idée d’être numéro 2.”
Après l’avoir vu sur les planches du Théâtre Tristan Bernard, ses lunettes rondes passées sur le nez et la cravate rayée “Gryffondor” autour du cou, on n’imagine plus Martin Hill autrement que sous ses traits.
À la fois narrateur, acteur et spectateur de sa propre vie, il la porte admirablement du début à la fin. À ses côtés, Pierre Bénézit, Serge Da Silva et Valentine Revel-Mouroz font un trio de comédiens remarquables. Ils campent à eux trois une quarantaine de personnages drôles et excentriques.
On ressort rafraichit de Numéro 2, porté par un quatuor qui se renvoie diablement bien la balle et une scénographie loufoque truffée d’anecdotes réjouissantes. Une comédie qui fonctionne donc, mais qui laisse délibérément de côté le potentiel dramatique d’une telle traversée du désert : une jeunesse prise dans l’étau accablant de la malchance et que rien ne semble pouvoir desserrer. Un destin d’une noirceur fascinante qui n’est pas exploité par les ressorts de la mise en scène, au détriment de passions fortes pour le spectateur.
Choisir c’est renoncer, c’est le choix de cette adaptation. Si le parti pris de la comédie est discutable, on lui reconnaîtra néanmoins la vertu d’ouvrir la pièce aux jeunes générations, et de stimuler par là une réflexion fondamentale sur la perception et le traitement de l’échec dans notre société. À choisir, on retiendra cette phrase que philosophe le personnage principal : “On ne rate pas sa vie, on la recommence”.
Alvaro Goldet
La Perle
“Numéro 2” de Léonard Prain et Sophie Accard
(adapté du roman de David Foenkinos)
Du 18 janvier au 02 mai 2025
Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher 75008 Paris
www.theatretristanbernard.fr
Instagram : @theatretristanbernard