À la galerie Gagosian, le travail à grande échelle de Theaster Gates

Avec “Black Mystic », l’artiste américain dévoile des oeuvres monumentales à la galerie Gagosian du Bourget (93). Sa pratique artistique ne s’astreint à aucune norme : un oeuvre engagée mêlée d’un pied de nez au marché de l’art

Couvrant la sculpture, la peinture, la céramique, la vidéo, la performance et la musique, Theaster Gates crée des installations à grande échelle. Crédits photo : Thomas Lannes

Au pied des pistes de l’aéroport international de Paris le Bourget (93) se trouve un gigantesque bâtiment industriel de 1650 mètres carrés. C’est dans ce décor bétonné et minimaliste, pensé par l’architecte Jean Nouvel, que Larry Gagosian a ouvert sa deuxième galerie. Ici, oubliez les œuvres aux formats classiques que vous avez l’habitude de voir dans des musées et galeries d’art : place au monumental !

Un adjectif qui représente bien la pratique de Theaster Gates, dont le travail protéiforme redéfinit notre rapport à l’espace. Couvrant la sculpture, la peinture, la céramique, la vidéo, la performance et la musique, il crée des installations à grande échelle dans le monde entier, en remettant en question les conventions artistiques établies. 

AU CHANTIER COMME AU MUSÉE

Dans sa nouvelle exposition « Black Mystic », présentée à Gagosian – Le Bourget jusqu’au 29 juin, Theaster Gates partage avec nous ses dernières expérimentations artistiques. Des tapisseries gigantesques, réalisées à partir de matériaux de toiture industrielles sur lesquelles il vient peindre et ajouter des éléments visuels et textuels. Un aspect très brut dans ce travail, presque usinier. 

Une sensation renforcée par les matériaux utilisés, à savoir le polyester, le goudron ou encore le bitume qui nous évoquent davantage le monde du chantier que le monde de l’art. C’est justement là toute la singularité de l’artiste : aller au-delà de la pratique visuelle en combinant l’art avec ses propres revendications.

En effet, l’utilisation de ces matériaux intrinsèques au monde industriel ont une charge symbolique très forte pour Gates. Évoquant des paysages urbains, des infrastructures et des routes, ils abordent des préoccupations contemporaines telles que la durabilité, la pollution et la transformation à grande vitesse des paysages urbains.

Gates explore également l’idée de récupération. Le goudron et le bitume peuvent être considérés comme des matériaux « bruts » ou ordinaires, mais il les utilise pour créer des œuvres d’art qui transcendent leur fonction utilitaire et qui suscitent une réflexion sur l’esthétique, l’histoire et la signification sociale.

Crédits photo : Thomas Lannes

« Pour ma famille, le travail était une protection. Aujourd’hui, je m’autorise parfois un peu de repos. Mais à chaque fois, je ne
peux m’empêcher de me sentir coupable. » Theaster Gates

“LE TRAVAIL ÉTAIT UNE PROTECTION”

« Black Mystic » s’impose dans l’oeuvre de l’artiste comme un puissant témoignage de son rapport au labeur. Non loin d’une des tapisseries trône la bouilloire à goudron que l’artiste a hérité de son père, couvreur professionnel, aujourd’hui décédé. 

Dans une interview accordée au magazine Numéro en octobre 2023, l’artiste précisait : « Mon père était en mode survie. Il s’efforçait de protéger sa famille de la violence, du crack… Nous étions dans les années 1980. Pour nous, le travail était une protection. On ne pouvait pas se permettre d’être paresseux. Car la paresse détruit tout. Aujourd’hui, je m’autorise parfois un peu de repos, en allant au sauna par exemple, mais c’est très récent. Et à chaque fois je ne peux m’empêcher de me sentir coupable. »

"Black Mystic" s'impose dans l'oeuvre de l'artiste comme un puissant témoignage de son rapport au labeur. Crédits photo : Thomas Lannes

Dans “Black Mystic”, Theaster Gates joue autant avec ses souvenirs qu’avec les matériaux qu’il expérimente. L’exploration de l’échelle, de la matérialité et du récit personnel dans son œuvre reflète un désir de se libérer des contraintes traditionnelles et d’adopter un processus créatif plus expansif et transformateur. Il précise lui-même : « Comment puis-je commencer à m’amuser avec les compétences qui m’ont été données tout en proposant quelque chose de nouveau dans le dessin et la peinture ? ». 

À travers ce changement vers l’expérimentation, Theaster Gates emprunte un chemin vers la libération des thèmes passés de la perte et du chagrin, et ouvre de nouvelles possibilités d’expression. Un bagage qui présage d’un virage artistique plus ancré dans l’intime. 

Lucie Vial-Blondeau

La Perle

« Black Mystic » de Theaster Gates
Du 13 avril au 29 juin 2024 

Galerie Gagosian -Bourget
26 avenue de l’Europe 93350  Le Bourget

gagosian.com
Instagram : @gagosian